lundi 22 décembre 2008

Cahiers Jaques Audiberti

Vient de paraître


Cahiers Jacques Audiberti n° 25: "Parole et musique"

Ce volume contient de nombreuses chansons d'Audiberti et des partitions inspirées par ses textes.

Textes de Audiberti, Nougaro et Tola Korian.
Muisques de Moussorgski, Ravel, Wölflin, Datin, Dallone, Nougaro.

En outre, on pourra lire les interventions à la soirée "Parole et musique" de la Société des Gens de Lettres du 12 octobre 2005 organisée par l'Association des Amis d'Audiberti:

Bernard Fournier: "Le Chardonneret de Paris.
Josiane Fournier"L'Alexandrin dans la poésie de Jacques Audiberti".
Claude Lehmann: "Deux inséparables: les sons et les signes".
Patrick Quillier: "L'Usage de l'oreille chez Audiberti".

Association d Amis de Jacques Audiberti
Marie-Louise Audiberti
1 bis rue des Capucins
92190 Meudon.

amisdaudiberti@wanadoo.fr

On consultera avec profit le très riche de site: aajaudiberti.com

dimanche 14 décembre 2008

Colloque de Nice: Jacques Darras ou "l'épopée fluviale"

Un colloque s'est tenu à l'université de Nice pour lire l'œuvre de Jacques Darras "l'épopée fluviale". J'y ai fait part de ma lecture de Van Eyck et les rivières (Le Cri ,Bruxelles, 1997) sous le titre ""Etat de crue". Voici cette communication: 

La parole en état de crue

 

Introduction

 

Le poète Darras est devenu réellement le poète que nous connaissons aujourd’hui il y a de cela environ vingt ans quand il a composé et écrit Van Eyck et les rivières. Il s’agit, dans cette œuvre, de marquer un territoire : marquer topographiquement son appartenance à une région, sur le plan poétique, de marquer son territoire du futur, à savoir la poésie parlée qui le caractérise.

Le poète se trouve placé à une époque ravagée par deux guerres et où la poésie ne s’entend plus. Il décide donc de faire table rase du passé pour reconstruire un univers à sa mesure, à la mesure de l’homme du XXI ème siècle. À partir d’un monde en chaos qui confond les temps, les espaces et les personnages, le poète tente d’asseoir une nouvelle société, un nouveau monde. Comme la parole dont il est issu, ce nouveau monde sera basé sur le système hydrologique et des personnages tutélaires. Le monde ainsi repart à la source dans l’art et dans le monde, pour finir son achèvement par la parole, par une nouvelle poétique.


 

I

Confusion du monde

 

 

Avant de fonder sa nouvelle utopie, le poète a besoin de revenir au chaos, mieux, de fonder son propre chaos, c’est-à-dire, en substance, de désorganiser le monde, de le réduire en miettes, en parcelles, de le noyer sous les eaux, comme avant le Déluge. Ainsi sera-t-il à même de confondre les lieux, les personnages et les genres.

 

 

Confusion des temps

 

Le poète s’ingénie à mélanger les époques, passant d’un chapitre à l’autre du XV° au XX° sicle sans nous prévenir, parfois même au sein d’un même chapitre. « Nous sommes mardi 10 janvier 1429 nous sommes en outre jeudi 4 mai 1995 »[1] ou « Le Téméraire son père rendent à l’heure leur pédalo de location »[2]. Le poète énonce deux temps dans le même espace. Il dissocie les données spatio-temporelles. Il se fie davantage à l’espace qu’à l’histoire, au temps qui passe.  Et il confond jusqu’aux temps grammaticaux : « nous marcherons marchâmes »[3]

Parfois le saut diachronique est bien visible, parfois il se fait par la bande, au détour d’une allusion :  Jeanne rencontre la Maye de Compiègne à Rouen ![4], sachant bien ici que la Maye représente le fleuve de prédilection du poète et que c’est donc la voix du poète qu’on entend ici, au XX° siècle, en confrontation avec celle du narrateur qui raconte la pérégrination de Jeanne d’Arc en qualité de narrateur omniscient.

L’auteur mélange aussi les époques littéraires et donne aux anciens des intentions qu’ils ne pouvaient pas avoir : « Héraclite/ [Qui] n’était ni wallon ni surréaliste »[5] en mélangeant les époques littéraires avec la géographie.

La confusion amène parfois des vérités surprenantes. Évoquer les guerres de Cent ans avec la Seconde Guerre Mondiale a de quoi étonner : ce sont pourtant les mêmes champs de bataille et parfois les mêmes armées : « le précipice Enfer qui ne peut pas ne pas évoquer le Camp d’extermination »[6] ; l’auteur souligne ainsi la continuité de conflits, leur absurdité. Darras met l’accent sur les mêmes lieux qui produisent en quelque sorte les mêmes guerres :  « Toujours la même bataille en balance à cinq siècles de distance »[7]. Pour avancer cette formule lapidaire qui n’est qu’une question de chiffres : « Louis 14-18 ». Le bonheur d’une réussite littéraire apporte un surcroît de sens l’allusion aux guerres hollandaises du XVII° siècle et les champs de bataille du nord de l’Europe[8].

La confusion des temps peut apparaître paradoxale quand on pense que les rivières sont ici le lieu de prédilection, qu’affectionne le poète. Les cours d’eau portent en eux-mêmes ce paradoxe, fluides et coulantes, elles incarnent ce qui passe, comme aussi elles symbolisent ce qui demeure, leur lit, leur nom et cette eau qui apparaît en permanence et d’où vient la mémoire. Ainsi le poète, à l’image des rivières, s’accapare ce qui reste, comme l’espace mais se trouve confus devant ce qui passe, les actes et les personnages qui les fondent.


 

Confusion des personnages 

 

C’est pourquoi les personnages historiques se trouvent confondus, eux aussi.

L’auteur mélange les femmes et hommes, les peintres et les écrivains. Ces derniers se retrouvent aussi confonds dans les dates et les genres : Chateaubriand, Verne, Zola, Flaubert, Hugo, Camus, Sartre, Duras, Péguy, Novarina, Bouvier[9]. Il me semble parfois que tous les auteurs sont passés en revue ne serait-ce que fugacement dans u melting-pot assez curieux parfois :  Baudelaire se joint à Michaux tandis que Walt Whitman écrit «Les Fleurs du bien, avec Baudelaire.

Le livre ailleurs nous montre le poète à légale de ces écrivains du XVI° siècle par la confusion qu’il introduit dans les pronoms : « Nous fûmes à Azincourt lui (William S.) et moi »[10]. Ainsi les guerres et les auteurs apparaissaient ensemble sur le théâtre des opérations. On démontre plus facilement toute la problématique entre un ou deux pays, leurs guerres incessantes, et la responsabilité des écrivains des intellectuels devant l’histoire et devant leurs lecteurs futurs. Par cette confusion, le poète narrateur se place lui-même à côté de ses héros, et de fait lui-même soumis à la confusion.

Cependant, certaines liaisons sont difficiles a priori : « Hannibal, Napoléon Michaux »[11] ; plus facilement peut-on peut-être lancer un pont entre Jeanne et Charles Péguy avec la guerre de 14 : « Je te dénonce Jeanne, je te dénonce contre Péguy contre Claudel ou Bernanos »[12]ou entre deux chefs: « Edouard VII Rommel »[13]. Ailleurs c’est encore la Pucelle qui est associée à l’époque moderne : « Jeanne d’Arc fut futuriste comme le fasciste Marinetti »[14].

La confusion s’étend même aux artistes qui sont allégrement présentés comme datant d’une seule époque. Comme si en définitive le plus important n’était pas tel ou tel artiste en particulier parce qu’il a vécu à une certaine époque, mais l’art en général, transusbtanciant les époques. : « Jusqu’à Matisse./ Le plus eyckien le plus meusien le plus chêne-liège des peintres modernes »[15], où l’on entendra derrière les adjectifs des allusions à Van Eyck qui signifie « chêne » en flamand.

Le personnage du poète Jacques Darras s’invite avec les noms historiques : Hitler, Pétain ou De Gaulle[16]. Parfois par le jeu des pronoms, encore une fois, et par la grâce d’un récit où tout se mêle, il peut se mettre dans la peau d’un personnage et faire croire de façon momentanée à son lecteur de la rapidité et de la décision qu’il a prise, et même temps que de sa réalité. : « J’épouse Catherine 14 ans neuvième enfant de Charles d’Isabeau »[17] ; Jacques Darras devient alors un personnage comme les autres[18]. Qui donc écrit ? qui sont les personnages historiques ? qui est Jacques Darras ? Il se plait à semer le trouble.

Confondre ainsi les personnages historiques, les écrivains ou les artistes, a pour conséquence première une dilution des repères chronologiques. Tout est dans tout et vice et versa, ce qui diminue la responsabilité de chacun, et en retour paradoxal les rend tous coupables des guerres.

Confondre les écrivains dans une même œuvre mondiale, c’est aussi confondre leur talent, et bien sûr le genre même des œuvres et de l’œuvre que nous lisons. Afin de mieux rendre compte du bouillonnement du monde, du chaos avant sa régénérescence, de sa renaissance.


Confusion des genres 

 

C’est tout le livre qui se trouve dans des eaux mêlées. Tout y est confondu et les points de repère sont dilués dans les proses comme dans les vers. C’est ainsi que l’auteur utilise sciemment différents types de genres littéraires à l’intérieur du même ouvrage : essai, journal, autobiographie, roman, autofiction, poème, théâtre, etc.

Principalement au début du livre, comme si cet ouvrage était véritablement une invitation au voyage, Darras, nous livre les pensées intimes de Liévine, la fille du peintre Van Eyck dans le genre du roman.

Puis il nous emmène dans son journal où nous le suivons à quelques années de distance dans les dates d’écriture : « il y a trente trois ans au parvis de Saint-Bavon »[19]. Il s’agit de placer l’œuvre tout entière sous le signe de l’écriture ambulante, puisque ce journal est censé s’écrire en voiture. On aura cet écho avec les secrétaires ou ambassades du roi écrivant à cheval. La monture change mais non le paysage, ni le mouvement ni l’allure du poème qui s’ensuivent.

Proche du journal, l’autobiographie: « Yvonne ma grand-mère, mon grand père percevait les baux fermiers[20]. Darras se sent alors partie vivante de l’histoire, et c’est pourquoi il brandit ainsi la saga familiale qu’il rattache à celle qu’il est en train de nous raconter. On peut aussi parler de journal intellectuel quand l’auteur s’épanche à notre lecture sur son parcours : « Ce sera la douleur secrète de mon existence, cette aliénation progressive d’avec les miens »[21].

Mais, dans le journal même, il mélange des sections historiques[22] pour y inclure des parties de récit auto-historique[23]. On nage ainsi en plein confusion et on ne sait plus vraiment qui parle, et à partir de quel genre.

On a même des scènes évoquant l’art dramatique : « Tu me reproches d’être incurablement littéraire « tricherie, tricherie, dis-tu/ Peut-être le suis-je peut-être le suis-je j’avoue j’avoue aimer Blaise Cendrars »[24].

Une autre manière de brouiller les pistes, est d’inclure dans son texte des références d’autres livres, comme le ferait une étude universitaire, par exemple. (avec citation d’ouvrage de référence[25] « (cf Huizinga, L’automne du moyen âge ou fausse conversation téléphonique[26] ou l’exemple pour une allusion à Malcolm Lowry[27]) et dans la conversation avec une historienne comme enseignant à l’université de Dijon[28]. Il s’agit sans doute moins de brouiller les pistes, puisque chaque page, chaque chapitre conserve son autonomie d’écriture, de genre, que de laisser les uns se faire déborder par les autres. Gardons les frontières, mais qu’elles ne soient pas étanches : « Les clôtures avaient l’air particulièrement absurdes de ne plus délimiter aucun espace./ Il n’existe pas de pire maladie pour un piquet de clôture que celle du narcissisme riverain./ Une frontière contemplant sa propre image dans l’eau est proche de la dilution. »[29]

Tous les genres sont ici mélangés et c’est une volonté de l’auteur de procéder à un « échange constant du poème et de la prose »[30]Il interroge les genres, les investit pour les questionner :  « Où passe la frontière entre les faits les fables ? »[31] Une simple allitération permet de procéder à la translation entre les genres. Chez Darras, le monde entier, et la littérature elle-même, vit avec des frontières très floues, très lâches, mêmes si parfois elles sont très fortes et pérennes. Il n’empêche, parfois, il suffit d’un redoublement de consonnes, d’une inondation pour que le tracé de la frontière devienne invisible.

Les passages en prose sont formés d’un seul bloc, sans aucune délimitation de paragraphes ; tandis que les passages en vers, sont très aérés et forment même des strophes. Ainsi la dissociation entre les genres est-elle visible à l’œil nu, voulue de façon ostentatoire. Certains vers se veulent des versets, mais non comptés et parfois mêmes enfermé dans un cadre[32].

Cette confusion est aussi un signe. Darras ne parvient pas, dirait-on à se fixer un genre ; il aime la transgression, l’écriture lui file par-dessous et se laisse conduire. Toutes les réminiscences littéraires viennent alors à lui. Et il exploite toutes les facilités données au moment où il le souhaite. On a l’impression d’une entière liberté, et la confusion qui en résulterait est sauvée par la grande cohérence de chaque partie et de l’ensemble.

Mais cette facilité ou pourrions-nous dire, ce laisser-aller, rentre finalement dans une optique majeure. Il s’agit bien de confondre tous les types de textes en un seul qui aurait la faculté de dire mieux qu’une seule et même ligne d’écriture : « Trente années communes pour quelques imperceptibles centimètres de froideur. » [33]. Il s’agit de  « Lui mettre le ‘pied’ à l’étrier par roman poème chanson »[34]. On assiste à l’éclosion de l’écriture avant même sa traduction sur le papier en différentes parties. Tout est neuf, informe, chaotique.

S’y ajoute aussi la confusion entre les arts avec la peinture et les velléités de l’auteur qui se décrit comme au XVI avec un pinceau à la main[35].

 

De cette extrême et multiple confusion, l’auteur va tenter de construire un monde avec des éléments très personnels.

 

 

 

II

Tentative d’organisation du monde 

 

 

 

Maintenant, il faudra reconstruire. D’abord retrouver une Bourgogne mythique plus que réelle, et la faire revivre, principalement à partir des eaux, des rivières de tout un système hydrographique recomposé selon un imaginaire très sûr ; faire revivre les personnages tutélaires qui l’ont fait vivre ou qui l’honorent, même si ils sont parfois dispersés dans le temps.

 

Un système hydrologique

 

Le système hydrologique est basé sur les trois principaux cours d’eau de la Bourgogne du XV° siècle : Escaut, Meuse, Moselle. Mais Darras y ajoute bien sûr sa propre topographie :« J’allie Maye à Meuse son affluent imaginaire »[36] . A la faveur d’allitérations l’auteur associe une petite rivière côtière picarde à un grand fleuve wallon. Par la même figure, il agrandit son champ de vision : « la Loire la Limmat la Liffey./ Toutes les rivières en L consonne molle sont soupçonnées de collaboration. »[37] ainsi s’organise une structure linguistique qui vint au secours d’une structure hydrologique. Le paysage commence sa reconstruction.

Les rivières sont rendues à leur destination de communication. Au profit des routes, qu’il prend mais qu’il ne nomme pas (ou rarement), Darras, remonte ou descend les rivières : « descendre de Gand à Hesdin par le chemin de la Lys, l’Escaut, l’Aa, la Canche »[38], « Escaut Somme Sambre »[39]. Toutes ses cartes, ses pérégrinations sont commandées par le lit de rivières les vallées qu’elles ont creusées.

Il semblerait qu’il n’oublie pas un seul cours d’eau indiqué sur une carte au 25/ 1000. Il s’agit d’un réel désir de nomenclature comme on pouvait en lire au XVI ° siècle avec Rabelais, par exemple ; ce désir de liste dénote en même temps une appropriation du territoire, un désir de possession.

Darras souffre d’une grande soif apollinarienne :  « Escaut, Scarpe, Aa, Lys, Grand Escaut, Hirondelle, Deûle, Sensée, Somme, etc. »[40] On le fait parfois avec les montagnes ou les villes (ainsi Aragon dans la Diane Française avec les noms de villages de France), c’est le premier exemple à ma connaissance qu’on le fait avec les rivières. L’entreprise s’avère plus difficile car les cours d’eau sont longs et traversent de nombreuses régions fort disparates ce qui pourraient être un facteur de dispersion. Au contraire ici, ils forment une structure . Mais c’est le disparate précisément qui intéresse l’auteur, et il essaie de joindre en un seul volume toutes ces rivières pour les réunir en une seule histoire.

À cet égard, deux listes sont particulièrement impressionnantes. Les nomenclatures des rivières à partir de Domrémy[41]. Mais la liste la plus impressionnante est sans aucun doute celle qui donne le nom des toues les 59 rivières que traversent les convois de la déportation[42] des Juifs vers les camps de la mort.

« C’est le Rhin limitrophe frontière marchande indifférente aux frontaliers »[43]. Le Rhin ne représente pour le poète qu’un espace à traverser pour le commerce, mais pas une frontière reconnue comme telle. C’est-à-dire que la Bourgogne dépasse à ses yeux cette frontière naturelle là. Les marches en sont rejetées plus loin. Ce qui l’intéresse n’est que le Rhin suisse ou romantique ; après il va se perdre dans la mer du nord.

Qu’apportent ces listes ? D’abord une référence inédite en lieu et place des frontières, ensuite une sensibilisation au système hydrologique qui conditionne les pays traversés. Sans aucun doute aussi avons-nous à faire à quelque chose de vivant et qui relie les hommes plutôt que des frontières qui les séparent. Une rivière, c’est aussi quelque chose de fluide qui porte en elle-même la pérennité. Bien sûr c’est le symbole du temps qui passe mais c’est aussi et surtout la demeure du temps qui reste, un lit, un nom. Et on remarquera de ce côté que plus que leur forme, les régions traversées ou leur lit même, c’est bien leur nom qui intéresse le poète. Le langage revient à source première qui est de nommer, d’oraliser. La parole coule de source.

 

Ce système hydrologique, constitue pour une bonne part les frontières d’un passé auquel l’auteur donne toute son importance : « un quadrilatère allant des contreforts du Morvan qui eût inclus les Flandres française et belge, la Picardie, les Pays-Bas »[44]. Une Europe à venir, en gestation comme l’avaient peut-être rêvée d’autres politiques : Hitler ou Napoléon.


Un État mythique : la Bourgogne du XIV° 

Procédons d’abord à un petit rappel historique que l’auteur nous oblige à faire. La Bourgogne au XV° siècle comprend : le Comté de Nevers, la Bourgogne ave Dijon pour capitale, la Franche-Comté, l’Alsace et la Lorraine, le Luxembourg, le Brabant, l’Artois et la Picardie, et la Gueldre. C’est le plus grand état catholique européen. Mais l’histoire a voulu que ce duché ne fût jamais érigé en royauté. Ainsi aucun duc de Bourgogne, pourtant fils ou frère de roi n’a jamais pu monter sur le trône de France. On imagine les rancœurs des uns et des autres, les rivalités que cet état de fait a entraînées.

On a vu que les grands cours d’eau qui intéressent au premier chef notre auteur, ce sont ceux qui constituent la Bourgogne, état riche et puissant à la fin du Moyen-Âge : « la puissance trinitaire de l’Escaut, de la Meuse et du Rhin »[45]. Cette Bourgogne est vue comme une Europe naissante (« Europe, combat permanent entre adolescence âge adulte »[46]), et l’auteur nous rappelle qu’il a écrit ce texte peu de temps après le référendum de Maastricht : « Dire ‘oui’ au référendum ne nous suffisait pas »[47]. Que nous soyons d’accord ou non avec ses idées, il est important que la poésie se saisisse aussi de la politique, ce qu’elle a trop oublié ces derniers temps. Nous assistons là à une revendication politique au sens large du terme, à une revendication territoriale qui n’est peut-être pas si obsolète qu’elle en a l’air.

La Bourgogne, en effet, c’est la rébellion. C’est un état qui ne cesse de combattre contre la mainmise de l’état centralisateur, la France. Jean Sans Peur en 1419 et Charles le Téméraire en 1467 en ont fait les frais au prix de leur vie. C’est la guerre entre les Armagnacs et les Bourguignons, véritable guerre civile à l’intérieur de la guerre de Cent Ans contre les Anglais, avec les alliances et mésalliances que l’on peut supposer notamment par le souverain entre deux que fut Philippe le Bon. La Bourgogne représenterait pour Darras, l’archétype de la politique, c’est-à-dire une certaine idée du pouvoir et du contrepouvoir et de ses enjeux en termes d’économie et de territoire.

Le roman, derrière la confusion voulue que nous avons notée, se structure d’une façon tout à fait concertée à cet égard. En ce qui concerne la toponymie, nous avons 17 lieux français (106 p), 14 belges (85 p), 3 suisses (Bâle, Zurich, Berne : 39 p.) 1 Hollandais (Maastricht: 19p) et 1 polonais (Oswiecim, 8 p). À l’intérieur de cette distinction il convient de spécifier les noms français et belges qui viennent en majorité.

Les Français, 6 interviennent d’abord (Dijon, Drouhaut, Beaune, Champmol, Arras, Lille) puis 2 qui font référence à la guerre (Calais et Azincourt) enfin, les 7 derniers sont des villages qui forment une frontière avec la Somme et le Pas-de-Calais (Thérouanne, Ruisseauville, Wail, Labroye, Le Boisle, Fontaine sur Maye ( sauf un lieu de bataille, le Camp du drap d’Or et une rivière normande, l’Austreberthe).

Pour les Belges, le système est différent, 3 villes : Maaseik  Namur et Chimay, puis le bunker d’Hitler à Bruly, et surtout Bruxelles (7 chap. La Brouette, La Louve, l’Aman, le Cygne, la Rose, le Roy d’Espagne, le Cornet : pour 52 p.)

Ainsi, en fait de Bourgogne, nous avons plutôt affaire à la frontière entre la France et la Belgique, et même peut-être davantage à la frontière entre la Somme et le Pas-de-Calais, par quoi se termine le livre. Il faut cependant noter que ce déséquilibre entre la France et la Belgique est compensé par la ville de Bruxelles qui occupe la plus large place du roman avec 52 pages et 7 chapitres à elle toute seule et au cœur de l’ouvrage. Les villes naissent des fleuves.

La Bourgogne de Jacques Darras est en tout point mythique et se réduit, si l’on veut à une vision personnelle. Mais, sur un plan supérieur, cette construction de l’Europe rentre dans le droit-fil de la construction de la poétique de Jacques Darras : il s’agit pour lui de reconstruire une géographie mentale qui collerait à l’histoire de l’Europe. Pour cela il lui faut associer à cette toponymie des personnages.

 

 Des personnages tutélaires 

 

Pour construire cette Bourgogne mythique, et qu’il appelle de ses veux, tout en demeurant ancré dans sa terre picarde, Jacques Darras en appelle non pas à la géographie, mais à l’histoire. Encore que, nous l’avons vu, il ne restitue au lecteur qu’une chronologie toute relative. C’est parce qu’il s’intéresse davantage aux personnages qu’aux lieux.

Et les personnages eux-mêmes apparaissent comme isolés et sont pris dans leur for intérieur avec peu d’ancrage sur la réalité, souvent avec un narrateur omniscient qui parle au nom du personnage. Il en ressort une impression de flou, de flot en particulier, qui ressemble à celui des rivières.

Sur les 49 chapitres, 11 seulement sont a priori consacrés à des personnages ; en réalité bien souvent, sous le couvert de noms de lieux (villes, région au nombre de 29) le poète fait parler des personnages, ainsi Jeanne d’Arc pour Domrémy, bien évidemment, mais aussi plus curieusement Brûly-de-Pesche pour Hitler.

Il apparaît que les personnages féminins sont préférés (6 Liévine, Guigone, Isabelle, Colette, Jean, Ludwijne, pour 5 masculins Nicolas, Philippe, Charles, Jan, Jacques). Cette légère prédominance de la féminité peut être lue comme un appel de la féminité de la rivière.

Nous accorderons une place plus importante à Liévine qui introduit et clôt le roman. Liévine, fille du peintre Van Eyck, entre au couvent sainte-Agnès de Maaseik en 1449-1450. Elle joint les deux aspirations de l’œuvre : la peinture et la métaphysique. De même avec Guigone, la femme du chancelier Rolin : « L’effacement de soi était sa forme de peinture à elle. Un art dont il n’y a pas d’image »[48]. On serait davantage du côté de la peinture. En tout cas dans une réflexion sur l’art qui englobe l’art du langage.

Dans le cadre des attraits de l’auteur pour la mystique, il nous faut dire quelques mots de sainte Colette. Colette Boëllet est née à Corbie en 1381, et reçoit à 25 ans le voile de Clarisse par le pape Benoît XIII pour est nommée abbesse de tous les monastères qu’elle va fonder. Elle meurt à Gand en 1447. Elle fonde dix-huit monastères de Besançon à Gand, avec l’appui des Maisons de Savoie, de Bourgogne, des Armagnacs. On comprend pourquoi elle attire Jacques Darras : c’est une femme, une mystique et une politique en plus d’être une payse.

En outre, youte distinction sociale semble mise à plat. Philippe le Bon et son épouse apparaissent sur le même plan que sainte Colette, le chancelier Rolin avec sa femme Guigone ou encore que son fou Plume, et Jeanne d’Arc, le peintre Van Eyck et la vierge Ludwijne.

Reste un personnage non historique. Il s’agit du poète lui-même, sous ses propres traits, Jacques, en tant que poète écrivain, écrivant sous nos yeux son propre journal. On ne sera pas étonné que le chapitre qui parle du personnage de Jacques soit le plus long avec celui qui traite de Jan de Bruges, c’est-à-dire Van Eyck. On rejoint, d’une certaine manière, les façons du Moyen-Âge qui faisait que les écrivains, signaient leurs œuvres à l’intérieur même de celles-ci, mais on pense aussi bien sûr à Diderot dans Jacques le Fataliste.

À partir de ces éléments, l’auteur va pouvoir élaborer son propre univers qui va de pair avec une recherche mystique.

Ainsi le livre construit un état avec des personnages et un système hydrologique qui se fonde comme il le cerne. Nous allons voir maintenant comment cet état progresse dans sa construction.

 

 


 

III

Construction d’un monde en mouvement

 

 

Après avoir ordonné le chaos et rebâtit un état à partir de ses sources, le poète s’achemine vers une construction toute en progression. Il ne s’agit pas d’une stabilité comme on l’entend dans le mot « état », mais d’une progression, politique, certes, mais surtout artistique, métaphysique, et pour le dire, poétique. Cette démarche vise à construire un monde réel, basé sur des profondes marques dans le monde, hors du monde, proche d’une spiritualité, et enfin dans le verbe qui dresse là ses principes bâtisseurs.

 

L’art, la mystique

 

La recherche historico-spatiale de Jacques Darras n’a de sens que vue à travers une recherche spirituelle. Aussi, après son importante réflexion sur l’art poétique qui court tout le long du livre, l’auteur s’engage-t-il dans une réflexion sur l’art qui subsume toutes les autres pratiques, puisqu’elle se pose à la question de Dieu.

Darras choisit le peintre Van Eyck, ambassadeur et mystique, parce qu’il se situe précisément « aux confins d la France, de la Picardie, la Flandre »[49]. Il n’y a pas de hasard et le poète conjugue ainsi ses préoccupations historique, géographique, et spirituelle.

Cet ouvrage est la preuve d’une intensité de recherche et de temps passé, aussi bien en bibliothèque, que sur les routes, et ce depuis longtemps : « Je vis dans la prairie mystique du peintre Van Eyck depuis décembre 1960 »[50]. L’auteur de dresser devant nous tout le travail de fourmi qu’il a effectué, comme un historien, et historien de l’art, à la recherche de cette époque ou de cette histoire un peu oubliée.

On retiendra chez Darras tout ce qui a trait à l’art, car il ne néglige pas non plus l’art monumental, la sculpture, en l’occurrence le tombeau de Jean Sans Peur à Champmol. L’intérêt de Darras pour l’art se situe dans le droit fil de sa quête mystique. Sa quête se focalise sur le tableau de Van Eyck « L’Agneau mystique », retable des frères Van Eyck de 1432, dans lequel il retient surtout l’élément de la « prairie mystique ». Ce seul élément, central parmi les autres, est érigé ici comme élément solitaire, une nouvelle fois parcellaire pour le fruit d’une visée métaphysique mise en valeur.

Le thème de la prairie, alors, devient prégnant : « J’aimerais tellement voir la Prairie divine d’où je sors d’où je source »[51]. Cette entreprise spirituelle, on le voit, est d’origine existentielle par son rattachement à l’histoire du poète aussi bien qu’à son attachement à l’histoire de son pays, pour le moins de la région qui l’a vue naître à savoir la Picardie, et par extension à la Bourgogne du Moyen-Âge.

Mais la métaphysique pour se dire a besoin de l’art et de la parole et toute l’œuvre rend compte des recherches de chacun des personnages pour dire l’indicible. D’où la nécessité d’établir une poétique : « Dieu se fait./ Je l’ai déjà dit le répète Dieu se fera dans les conques d’eau d’aspersion/ Rythmique »[52]. Le poète associe l’art poétique à la métaphysique, suggérant ainsi que l’art et la poésie est le plus sûr moyen existentiel d’arriver à la spiritualité.

Il va plus loin dans un poème tout entier bâti sur des majuscules qui agressent ainsi le lecteur, et destiné à faire pression sur lui : « CONVERTIR NOUS CONVERTIR »[53]. Le chapitre des « 26 Sommières » est le plus long (37 pages) et il est composé tout entier en majuscules, ce qui met en valeur la démarche spirituelle du poète.

Il cite ailleurs « et ego in Arcadia » les paroles absconses du peintre Poussin où l’on voit un homme le doigt levé vers le ciel. La peinture a nécessairement partie liée avec la mystique ?

 

Cette démarche mystique provient de la démarche artistique. La contemplation du tableau de Van Eyck permet à l’auteur d’accéder à une grande spiritualité. L’Agneau mystique « rêve d’une ville peinte par Van Eyck »[54].

Mais à partir de là, il va chercher chez les femmes des exemples de dévouement mystique à Dieu en la personne surtout de Liévine, dont on a vue qu’elle fermait et ouvrait le livre. Celui-ci s’ouvre par une clôture et se ferme sur une crue : « l’eau commençait à déborder »[55].

 

L’état de crue, l’état de crise, chez Darras, est un jaillissment vers la verticale de l’ascension appelée par l’horizontale de la rivière. L’état de crue c’est surtout chez Darras ce souffle moderne qui  emporte tout sur son passage. Surtout la tradition. Il faut absolument être moderne.


 

Modernité

 

Jacques Darras se veut un poète moderne, moins dans le sens des surréalistes ou des futuristes des premières années de ce siècle, mais davantage comme un citoyen européen qui voyage en voiture et prend le train.

La modernité d’Apollinaire est, après celle de Rimbaud, sans doute plus réelle, plus vivante, plus voyante avec les automobiles et les routes, de Cendrars et de Larbaud : « Il faudra que nous changions de roman de romantisme »[56]. Cette dernière phrase abolit toute l’idée de renouveau du siècle dernier, classé par Darras comme appartenant encore au romantisme. Le surréalisme n’en serait qu’un avatar.

Pour ce qui concerne la modernité des techniques, non seulement il parle de l’automobile, mais il n’hésite pas à citer des noms de marque, ce qui est en opposition avec la pensée unique où le commerce serait tabou. : « lion Peugeot très peu mystique »[57]. Aussi il évoque le confort moderne : «  l’automobile dont tu avais laissé marcher le moteur pour jouir d’une climatisation tempérée »[58]. On le voit souvent, il s’agit davantage d’une provocation plutôt que d’une réelle préoccupation de l’auteur, car ailleurs on ne retrouve pas cette propension; cependant, on retrouvera cette propension dans d’autres recueils, plus tard. Et pour faire suite à cette voie moderne, le poète, comme tout le monde, n’évite pas le trajet autoroutier : « Cent cinquante kilomètres d’autoroutes entre Meuse et Flandre, Meuse Escaut »[59]. On notera que les rivières demeurent comme jalon de cette échappée, comme marques de territoire.

Il en est de même avec le téléphone et le rôle de touriste qu’il incorpore dans son poème : « Le service d’urbanisme bruxellois ‘Rappelez, s’il vous plaît à deux heures’ »[60]. Dans un court dialogue, le poète fait œuvre dramatique et singe au passage la lenteur et l’incompétence de l’administration. L’ordinateur, après le magnétophone, fait aussi une timide apparition.

Moderne, Darras l’est davantage par le mélange de genre que nous avons vu. Confondre ainsi les arts et les manières, c’est ne pas respecter les règles, c’est faire du collage surréaliste, à la manière de Prévert, cette fois en littérature. Ainsi, quand Jacques Darras compose son roman-poème, il semble qu’une attention soit portée au nouveau roman dont le mode de composition éclatée reflète les préoccupations d’un Claude Simon, par exemple dans La Route des Flandres. C’est un signe de modernité.

Modernité plutôt littéraire qui va trouver son application en poésie.

  

Un art poétique

 

Cet ouvrage censé s’intéresser à l’art pictural, est en réalité tout entier  un essai sur l’art poétique. À bien des égards, toue le livre se révèle comme un art poétique, comme un essai de codifier les lois de la nouvelle poésie, en accord avec la nouvelle esthétique, nouvelle géographie.

 

Cette réflexion s’inaugure par let truchement de l’art parce qu’elle est la plus visible : « Il avait compris la leçon du peintre […] le métier, le secret des techniques, l’artifice recréant l’ordre d’une illusion»[61]. Que fait donc ici notre poète, si ce n’est de recréer sous nos yeux l’histoire de la Bourgogne au XV° siècle ? Le secret des peintres se transforme en secret de fabrication scripturaire.

On assiste au passage du pinceau à la plume. Darras s’est essayé à la peinture, pour le moins au dessin, il nous le dit. Alors pourquoi est-il passé par la plume, et tout particulièrement par la poésie ?

Une écriture « in progress », (« dessiner […] implique/ (Scène en progression)/ Que l’on dispose d’une boîte couvercle… »[62], à l’exemple de Joyce. Le poète pense en marchant, écrit en marchant, pense en écrivant : ce qui donne à son poème une allure de poème conversation, de propos libres.

Ce qui n’empêche pas un art consommé du poète qui s’entend toujours raisonné en pas comptés : « Poète c’est toujours avec les pieds »[63]. « Il faut de la musique il faut du sucre du rythme pour que le bain prenne »[64]. Chez lui le rythme procède du corps, de la marche.

 

« Qu’est-ce qui nous fait tellement aimer une frontière ? »[65] Cette liberté de ton, cette recherche d’une poétique ne va pas sans quelques excès comme cette peur de la répétition :  Jusqu’à des formules bien difficiles à déchiffrer : « J’appelle la Picardie la frontière entre le roman et le poème »[66]. Une frontière géographique, même ancienne, est dressée en parallèle avec une poétique, mais il est difficile de voir dans une région particulière une source de poétique.

La litanie des listes fait aussi partie de son art poétique : (liste des fleurs 301) et autres listes de rivières, de noms de poètes, de façons rhétoriques. Cette manière, encore une fois, le rattache à certaines manières du Moyen-âge.

Retenons aussi les formules où le poète assène avec force répétitions son intention de fonder une nouvelle poétique de la poésie parlée : « Il faut que le poème parle »[67]. C’est peut-être le point le plus important de la poétique de Darras. Il invente, ou réinvente, devrions-nous dire le poème parlé. En quelque sorte il veut reprendre à la chanson son bien qu’elle a su prendre elle-même de l’ancienne poésie, du temps où elle était chantée. Darras ne s’institue pas en chanteur mais en diseur. A côté du slam ou du rap, il y avait là une place à prendre pour redonner sens et son à la poésie contemporaine qui a de plus en plus tendance à se couper du monde : « je suis parti en quête d’une écriture parlée […] je compare la voix à une rivière oui »[68]. Bien sûr, le poète, enfant de la Maye, de la mère Maye, joint à son combat sa mère la rivière, et invente un poème coulé, coulant.

Retenons, parmi les nombreuses formules qui ont trait à l’art poétique, les plus précises comme les plus incisives ou les plus larges :  « Le roman est du côté de la guerre./ La poésie est la guerre autrement »[69] (où l’auteur cite Mandelstam : « en poésie c’est toujours la guerre ») ; « Ah ! comme le poème brûle bien quand le roman y boute le feu./ Le poème aime tellement être hérétique »[70] ; « Je suis poète hérétique de la poésie du roman tout à la fois »[71]. On le voit, Darras choisit toujours le côté rebelle de la poésie.

 

 

La recherche d’une nouvelle poétique a conduit le poète à trouver une nouvelle métaphysique mais il ne s’est pas arrêté à la contemplation de la prairie mystique. Son art poétique englobe toute l’existence d’une vie.

A partir du chaos primordial que fut sa jeunesse, en terme de création poétique à l’époque de Denis Roche et de la poésie expérimentale, il rend compte de ce chaos par le chaos lui-même des personnages des époques, des lieux et des genres littéraires.

Le poète répond alors par une construction du monde à partir de l’art, poétique en particulier mais aussi artistique. Les rivières, la Bourgogne et ses personnages tutélaires.

Dans l’art, la modernité et sa propre poétique font ce livre un exemple comme un manifeste.

Jacques Darras est un des poètes pionniers de sa génération : il englobe tout un monde, à la fois mythique et moderne pour construire son univers orienté dans une compréhension mystique du monde : « Ne devrions-nous pas vivre nos propres vies en état de crue permanente ?/ Constamment nous déborder./ Sortir de nos rives individuelles plutôt que vivre à leur abri par défaut. »[72] Avec Darras, la poésie sort de la crise pour déborder dans la crue.

 

 

 



[1] Van Eyck et les rivières, Le Cri, Bruxelles, 1996, p.331

[2] Op. cit., p.428

[3] Op. cit., p.428

[4] Op. cit., p.138

[5] Op. cit., p.109

[6] Op. cit.,, p.49

[7] Op. cit., p.124

[8] Op. cit., p 194

[9] Op. cit., p. 80

[10] Op. cit., p.

[11] Op. cit., p. 152

[12] Op. cit., p.

[13] Op. cit.,

[14] Op. cit.

[15] Op. cit., p. 99

[16] Op. cit., p. 172

[17] Op. cit., p. 218

[18] Op. cit., p. 218

[19] Op. cit., p. 18

[20] Op. cit., p. 83

[21] Op. cit., p.25

[22] Op. cit., 321

[23] Op. cit., 279

[24] Op. cit., p.266

[25] Op. cit., p. 27

[26] Op. cit., p. 190

[27] Op. cit., p. 335

[28] Op. cit., p. 44.

[29] Op. cit., p.21

[30] Op. cit., p. 400.

[31] Op. cit., p. 101

[32] Op. cit.,, p. 328

[33] Op. cit., p. 25

[34] Op. cit., p. 67

[35] Op. cit., 267

[36] Op. cit., p. 13

[37] Op. cit., p. 284

[38] Op. cit., p. 75

[39] Op. cit., p. 99

[40] Op. cit., p. 68

[41] Op. cit., p. 150-163

[42] Op. cit., p. 172-173

[43] Op. cit., p. 268

[44] Op. cit., p. 399

[45] 438

[46] Op. cit., p. 18

[47] Op. cit.,, p. 9

[48] Op. cit., p.64

[49] Op. cit., p.403

[50] Op. cit., p.120

[51] Op. cit., p. 129

[52] Op. cit.,  p. 239

[53] Op. cit., p. 357

[54] Op. cit., p. 27

[55] Op. cit., p. 438.

[56] Op. cit., p.18

[57] Op. cit., p. 117

[58] Op. cit., p. 21

[59] Op. cit., p. 23

[60] Op. cit., p. 190

[61] Op. cit.,, p. 249

[62] Op. cit., p. 36 (visite à l’Historienne, pp 42-43)

[63] Op. cit., p. 201

[64] Op. cit., 258

[65] Op. cit.,  p. 97

[66] Op. cit., p. 144

[67] Op. cit., p. 106

[68] Op. cit., p. 127

[69] Op. cit., p. 144

[70] Op. cit., p. 149

[71] Op. cit., p. 158

[72] Op. cit., p. 21

jeudi 27 novembre 2008

Voici l'intégralité de la conférence prononcée pour la présentation de Jean Orizet, ce mercredi 26 novembre au café le François-Coppée, avec Jean -Paul Giraux et Monique Labidoire:



Orizet

Le poète de l’entretemps

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme un grand voyageur qui a vu mille mondes, comme un grand aristocrate qui vous offrirait le loisir de la parole, comme un grand oiseau à longues pattes daignant parfois se nourrir d’une perche, d’autres disent « gentleman farmer »[1] ou « conquistador nonchalant »[2], Jean Orizet est ce poète à la haute figure qui, cependant, ne laisse pas d’être aimable et avenant ; et dont la conversation autant que le vers, est capable d’un enchantement qui rappelle les grandes voix des poètes profondément lyriques.

Sa poésie reflète cette double posture : une grande hauteur de vue pour un sentiment très vif du temps qui passe,  à travers l’amour, la mort et les voyages.

Toute l’œuvre du poète est placée sous le signe du temps, qui, avant que d’être un espace d’avenir, représente surtout la douleur de l’écoulement, de l’écroulement.

Nous verrons comment le poète, pour lutter contre cette dispersion, s’ingénie à confondre les lieux ; il tente de l’apprivoiser par le retour aux sources dans un double mouvement vertical ascendant et descendant symbolisé et incarné par le végétal.

Mais comme un oiseau de haut vol, il parvient à dépasser la simple contingence pour faire du temps un avoir, un bien, un trésor qui permettrait de savourer et l’instant et l’histoire : c’est ce qu’il appelle l’entretemps que nous essaierons de définir en donnant quelques exemples. Nous verrons quelle recherche elle constitue pour lui. Et c’est cette découverte qui pourrait bien lui donner un espoir de vie transcendantale.


I

Les voyages

 

Le temps, c’est d’abord l’espace. Les deux dimensions sont absolument liées l’une à l’autre, et pour Jean Orizet l’espace, ce sont les lieux, innombrables qu’il a visités.Ces lieux lui sont tout un et il aime les confondre car pour lui la terre est un espace à lui tout seul : la terre et sa végétation.

 

a)     L’espace

 

Orizet est un grand voyageur. Il a parcouru les cinq continents. Et il a retiré de cette pérégrination le goût pour l’autre, pour le différent. Il n’est pas certain qu’il y ait trouvé ce qu’il cherchait de prime abord : une lutte contre le temps qui passe. Qui d’abord le peut ?

La plupart du temps, les voyages, comme pour chacun de nous, ne sont que des fuites, au mieux des plaisirs mondains de touristes happés par la modernité. Pour Jean Orizet, le voyage est un peu plus que cela, même, si, comme nous, il revient, il en revient. Mais son retour lui laisse un sentiment ambigu: « Je pars et ne pars pas […] Je noie mon passeport au fond des hémisphères et me rêve absent à peine de retour »[3]. Sous le discret alexandrin, on devine que le vrai voyageur est en effet celui qui est toujours entre les deux, comme l’indique aussi l’antithèse « je pars et ne pars pas », Jean Orizet est « toujours entre deux nids »[4]. Le voyage ne vaut, pour certains, que par rapport au port d’attache, sinon, il n’y a plus de voyage, c’est de l’expatriation. Précisément, la patrie, pour le poète, c’est l’ailleurs, ce sont les « étoiles apatrides »[5].

L’important, dirait-on, pour le voyageur, n’est peut-être pas le voyage lui-même, mais l’homme qui en revient. Orizet revient  pour contempler son arbre : « L’arbre du voyageur »[6]. Cette antithèse rassemble toute la problématique du voyage chez le poète : partir et rester, bouger et demeurer. On voyage pour rester, pour mieux rester, et on reste parce qu’on a bien voyagé. Les deux sont complémentaires. L’idéal serait d’être un arbre bien ancré dans ses racines, en même temps que de pouvoir bouger.

Mais, voilà, la danse de saint Gui nous reprend, et nous repartons : « je devenais cet homme de passage »[7], nous dit le poète, moins du passage sur terre à manger les kilomètres, à visiter tant de cités et de paysages, plutôt qu’un passager du temps, celui qui peut affronter le passé avec le présent, sans nostalgie, sans souvenir. Mais avec une histoire, celle de notre époque, celle de notre histoire commune. Cette notion de passage est constitutive du voyageur qui passe du temps aussi bien que des frontières, mais Orizet en fait plus que cela ; pour le poète le passage n’est pas seulement celui du temps apparent. Le voyage s’effectue dans la verticale.

 

On est alors pris dans une grande confusion, autant que celle des sentiments, chère à Stephen Zweig, que celle des espaces et du temps.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

b) Confusion des espaces et des arts

 

 

Il est ordinaire de spécifier un lieu pour en dire toute son originalité. Au contraire, Jean Orizet, comme si le temps s’annulait devant lui, souvent, nous place devant la similitude entre deux horizons parfaitement éloignés les uns des autres : « Irlande ou Japon ? »[8], par exemple, dans une interrogation frontale qui ne laisse pas d’être évocatrice. Confondre l’Est et l’Ouest, on admettra que ce n’est pas banal. Et le temps n’y est pas étranger, bien sûr, puisque c’est parce qu’il se souvient que le poète peut ainsi comparer.

Ce mélange des lieux pourrait aussi s’entendre comme une négation du voyage ; en effet, si les lieux peuvent être confondus, à quoi sert-il de voyager ? La confusion des lieux a de quoi nous interroger sur « ces ports […] de Gibraltar à Galveston, de Lisbonne à Buenos Aires »[9] et des aéroports : « Paris, New York, Boston, Washington, Indianapolis »[10]. Le poète dresse des parallèles entre les lieux (et il aime ces listes qu’il déploie à loisir, non pas pour afficher, mais pour donner à voir, à entendre, parfois avec des noms savoureux), nous permettent de nous faire réfléchir, plus que sur la diversité, sur la communauté des hommes et de leur paysage.

À partir de cette confusion première des espaces, nous assistons au mélange des arts. Ainsi se permet-il des parallèles, pour nous surprenants, entre les courses automobiles de Formule 1 et l’art pictural, Poussin, Hokusaï, et la  littérature de Chateaubriand[11]. Nous y voyons d’abord un élan de sincérité de la part du poète qui s’insurge contre le cliché de tour d’ivoire du poète romantique, d’une part. D’autre part, pour lui, les sens apportent une multitude de sensations qui se confondent en une alchimie qu’il s’agit précisément d’élucider. Ainsi il lui importe peu de se ranger derrière des stéréotypes, des faux-semblants. Il s’agit d’être vrai, quitte à rendre la confusion des sensations par la confusion des arts.

Le poète parle même d’« avers et revers confondus »[12], et cette confusion chez lui n’est pas négative ; elle interroge et permet une réflexion sur le devenir de l’homme. C’est pourquoi la confusion des choses et des êtres s’étend au monde dans son ensemble et prend une signification particulière avec le règne végétal, symbole du temps qui demeure.

 

 

 

 

 

 

 

 

c)     Le Végétal

 

Le même paradoxe qu’on avait avec « l’arbre du voyageur », « l’avers et le revers », s’applique à tout le règne végétal.

Le végétal offre au poète cet effort de survie, non pas en tant qu’une vie sauve des périls comme de la mort, mais survie au sens premier, comme une vie supplémentaire, à partir du végétal. Ainsi les « Fougères ambiguës »[13] qui poussent à partir de rien et se déploient de façon fantastique : « Par la genèse des crosses mêlant au règne végétal l’animal, les fougères naissantes hésitent entre les règnes »[14]. On appréciera, précisément à cet endroit, la qualité du style de Jean Orizet, toujours empreint d’un souci didactique, et à peine dit, deux figures de rhétorique, discrètes, l’inversion, et l’absence de liaison qui illustre exactement la confusion. Et bien sûr l’alexandrin qui assoit le propos.

Cette confusion des règnes s’exemplifie avec l’image de l’arbre. Le voyageur n’est alors qu’à moitié dépaysé dans ses pérégrinations puisqu’il retrouve peu ou prou son identité à travers le végétal qu’il reconnaît. Tout végétal offre la demeure face aux mouvements du voyageur, c’est en quelque sorte son antidote : « sois humble, mince passant : aie l’exigence  de l’arbre »[15]. Retenons la leçon donnée de biais à la troisième personne qui s’adresse autant au poète lui-même qu’à son lecteur. Exigence d’humilité avec ce « mince » passant que l’image nous donne à voir comme une statue de Giacometti, être quasi évanescent devant la constance du végétal.

Les arbres représentent pour le poète la pérennité, en lui donnant un supplément d’âme. Le poète se veut l’« héritier des arbres »[16]. En une collusion de mots franche, le poète nous assigne une ascendance que nous étions habités à voir du côté animal ; l’image nous force à voir autrement notre genèse.

Les quatre grands arbres séculaires ont naturellement leur place ici : chênes[17], baobab[18], eucalyptus[19], banian[20].  Chacun apporte au poète une lecture du monde qui le place en dehors du temps, par sa longévité, bien sûr, mais aussi par sa capacité à enregistrer le monde dans un mouvement de haut en bas, englobant ainsi l’espace dans sa dimension historique.

On notera que l’eucalyptus est associé à l’île de Patmos, et plus précisément, au tombeau de saint Jean. Sur un fond de mysticisme, le poète fait référence à l’écriture, puisque c’est à ce moment que le saint écrivit l’Apocalypse. Le livre de la fin du monde. Le livre des révélations. L’arbre annoncerait en quelque sorte une révélation de l’au-delà. Au-delà du temps, comme au-delà de l’espace.

On le voit, donc, pour le poète, l’espace, dans toutes ses dimensions, est un effet du temps. C’est pourquoi il importe maintenant d’examiner la sensibilité du poète au passage du temps.

II

 

 

 

Le passage du temps

 

 

 

 

 

Tout l’effort de Jean Orizet consiste à vouloir maîtriser le temps, voire à l’annuler. Tâche impossible, on le sait. Mais, ce qui lui importe, c’est la manière dont chacun s’y prend. Jean Orizet aime la mesure de tout ce qui vise à remonter le cours du temps. Du reste, il est attiré par cette verticale qui va de bas en haut puis de haut en bas, afin sur un même lieu, de creuser l’espace et/ou de le transcender.

 

 

 

 

 

 

 

 

a)     Le passage

 

On l’a vu, le poète est un familier des voyages transcontinentaux. Des journées entières passées dans l’avion ne l’effraient pas. Non plus que le changement des fuseaux horaires. Il apprécie, « Après quatorze heures de vol, [de]changer de saison en changeant d’hémisphère »[21]. Il faut aimer voir d’autres mondes d’autres habitudes, d’autres cultures, se sentir étranger soi-même, se frotter soit à l’indifférence de ses contemporains, soit à leur agressivité, leur étrangeté, soit encore à leur amitié. Voir d’autres végétaux, d’autres automobiles, d’autres architectures, etc. Tout change quand on voyage si on a les yeux pour regarder, c’est pourquoi Patrice Delbourg appelle notre ami un « glouton optique »[22]. Tout change, et c’est précisément ce que recherche le poète quand il voyage. Ce qui l’intéresse, c’est le passage.

Mais c’est aussi le passage du temps qui l’angoisse: il a toujours une « fascination pour ses instruments de mesure : gnomons, sabliers, clepsydres, horloges à poids, montres à ressort et bientôt à quartz »[23] et nous retrouvons son goût des listes et des termes inhabituels, cette jouissance de la langue. L’euphorie lexicale concrétise le passage du temps, que nous ne voyons que dans le ciel ou les saisons. La mesure donne un aspect, quantifiable, mesurable, mais aussi venue de notre main, pour donner un peu le réconfort d’une appréhension. Voilà pourquoi Orizet aime les horloges. Comme tout voyageur véritable, la mesure du temps, non seulement le rassure, mais le fortifie dans son désir de voyage.

Le temps, c’est aussi, l’âge. Cette poursuite des atteintes du temps est sensible dans nombre des œuvres de poètes. Ainsi on peut entendre ce cri un peu inattendu à travers l’apparence sereine du voyageur au long cours :  « Hurlante sous tes pas/ la souillure inexpliquée du jour » [24]. Le jour est blanc, immaculé, et le temps sa tache. Cette métaphore nous en dit long sur le processus qui amène le poète à voyager : le temps lui est une tache (que l’on retrouvera sur les taches de vieillesse qu’il peut lire sur sa main). Dans la même idée de couleurs négatives, il s’insurge aussi contre les exactions des hommes qui souillent les yeux du voyageur et les paysages : « Prenez un grand pétrolier de 100 ou 200 000 tonnes./ Coupez-le en deux, un jour de tempête, au large d’une côte habitée, et vous obtiendrez deux petits pétroliers bien assurés au Lloyd’s de Londres et beaucoup d’oiseaux noirs assurés, eux, d’être asphyxiés demain »[25]. Sous le couvert d’une recette de cuisine assez drôle, on pense à Jean l’Anselme, le poète, très acerbe, joue sur les mots et marque notre esprit de cette marée noire, noire comme les atteintes du temps.

 

Mais ses pérégrinations lui apportent une autre sorte de cri, celui des populations souffrantes. Car si le voyage est fait pour connaître les paysages, le poète n’en n’oublie pas pour autant ses hommes: « il est des pays terribles/ où la plupart des habitants/ ont à la place du visage// une cible »[26]. Dans une formulation concise et terriblement évocatrice, le poète se révolte contre les guerres de quelque pays qu’elles soient. La problématique du temps se révèle alors plus criante de désespoir et de révolte.

C’est pourquoi, un baume serait d’annuler le temps.

 

 

b)    Remonter le temps

 

Une rivière, on peut en remonter le cours, et il nous semble qu’alors on parvient à sa source, que l’on confond bien volontiers avec l’origine du monde. L’homme souhaiterait aller au plus loin dans l’origine: « Le temps coule inusable sur un océan d’énergie. L’univers qui est Dieu hésite encore à naître. De l’ancienne harmonie va grandir un chaos. Le monde est ma pensée puis mon rêve. »[27] Il faut entendre que, pour Jean Orizet, le monde court, non peut-être à sa perte, mais vers le chaos, et non vers la construction. À rebours, en quelque sorte. C’est une sorte de devenir eschatologique, apocalyptique, que ce temps que le poète voit à l’avance sur un ton aux allures épiques. La recherche de l’origine, chez Orizet, prend appui sur l’arbre.

Dans le règne végétal, il ne peut s’empêcher de voir comme une propension, d’être l’origine, de remonter les âges : « cet arbre a le pouvoir d’inverser le cours du temps, repoussant celui-ci vers sa source »[28]. L’image prend à contre pied la vision traditionnelle de l’arbre comme symbole humain qui, attaché à la terre, tendrait vers le ciel, ses bras étant ses branches. Le poète s’imagine glisser «doucement vers l’éveil de [s]a race, redevenais poisson, paramécie, plancton. »[29] Cette vision biologique très large et à l’envers a de quoi interroger. Elle situe l’homme face à sa naissance dans le monde sidéral, parmi ses habitants de tous ordres (végétal, minéral, animal). C’est une conscience écologique avant l’heure et surtout une question existentialiste de première importance.  Nous sommes en effet dans le domaine des choses possibles mais non certaines, et même les songes n’ont pas ce pouvoir de réalité : « nous tentons de rêver des genèses plausibles»[30].  Encore une fois l’alexandrin résonne pour appeler notre oreille à cette idée d’origine.

Le poète essaie de courir vers sa genèse. Orizet n’est pas l’homme pressé de Paul Morand, ni même « l’homme aux semelles de vent qui plongea le jaune du mystère dans le cœur d’un volcan choisi comme tombeau »[31]. Pour lui, Rimbaud, comme Van Gogh, « ont ouvert une fenêtre aux vertiges de l’éblouissement »[32]. Les métaphores ici étonnent par leur richesse quand on compare le style du poète par ailleurs si clair. C’est qu’en lui se confondent les temps, les espaces, les formes et les couleurs autant que les procédés d’écriture qui se révèlent d’une grande richesse dans leur multiplicité. Le voyage, c’est le temps : le poète en cherche l’origine, alors que nombre de voyageurs voyagent pour précisément perdre le temps, le remplir, c’est-à-dire l’épuiser. Chez Orizet, au contraire, le temps ne s’épuise pas, il s’élargit, il se creuse, il s’amplifie par la grâce d’un verbe aux multiples facettes.

 

 

c)     vertical et horizontal

 

Remonter le cours du temps, dans le même élan que vers la source, revivre les faits historiques, tel est le but principal du poète. L’histoire donne en effet épaisseur et consistance à l’espace et aux lieux. Il n’y a pas de lieu sans histoire, et l’histoire a toujours un lieu (l’expression « avoir lieu » donne l’exacte résonance de la conjonction du temps et de l’espace).

Ainsi, de façon verticale, on peut remonter le temps, cette fois dans l’acception quasiment première du mot, vers le haut. On part de l’origine de l’espace, et on grimpe, à la verticale du lieu vers le temps présent. Mais auparavant il a fallu prendre cette verticale dans l’autre sens, celle de la descente. Remonter le temps, c’est, d’abord, descendre dans la terre, dans les fouilles archéologiques. Ainsi se dessine un mouvement propre à figurer le temps à partir d’un espace : « cycle végétatif qui s’exerce de bas en haut comme de haut en bas »[33], comme le fait le mouvement de la sève qui monte puis descend pour l’hiver. On est loin de la représentation linéaire du temps.

Cette évocation s’articule selon deux axes: « je veux placer mes explorations dans l’horizontale […] –qui est en la partie la plus accessible-»[34]. À un autre moment, il opérera le mouvement inverse : « plonger dans la verticale souterraine »[35], puisque que c’est sous la terre que résident les restes des cités enfouies.

Aussi faut-il aller au-delà de notre terre pour aller quérir cette émotion : « chaque atome de temps, d’espace et de matière implosait »[36], « ses temps qui prolifèrent et qui bifurquent »[37]. La confusion est à tous les niveaux, et cette confusion même est l’entretemps, la dilution de l’être dans un certain néant de temps et d’espace.

A partir de l’idée d’origine et de la verticale, qu’il s’agit d’explorer, Jean Orizet en arrive à la notion d’entretemps : « celui de la légende et du mythe »[38]. C’est-à-dire que dans un espace donné où se superposent l’histoire des hommes et celle de leurs idées, de leurs fantasmes, de leurs récits épiques, de leurs genèses, de leurs mythes. Ainsi, quand l’homme voyage, c’est à travers le temps qu’il se promène, peut-être davantage qu’à travers l’espace.


 

III

L’entretemps

 

Découverte il y aura bientôt trente ans, cette notion n’est pas simple à expliquer. Nous nous y attacherons, bien sûr, mais surtout nous en donnerons quelques exemples, et, nous verrons comment ce sentiment imaginé dans un premier temps, est devenu pour Jean orizet l’objet d’une recherche infinie.

 

 

A)   Définitions 

 

Jean Orizet refuse la conception d’un temps linéaire qui veut qu’on trace une droite infinie de la gauche vers la droite qui représenterait notre passé courant vers l’avenir, ce qui sous-entend le non-retour d’une même chose en un lieu identique. L’image de l’eau, la plus courue, illustre cette conception. Comment peut-on mettre en doute cette idée ? Nous voyons que chaque jour qui passe ne reviendra jamais ?

Cependant on y voit un écueil : la présence de l’espace, constitutive au temps. On peut rendre compte de cette problématique avec la même image de l’eau courante. En effet, si l’eau coule sans arrêt, elle a pourtant un lit pérenne et aussi un nom que les hommes lui donnent et retiennent. Ainsi la rivière cumule en elle la conjonction de l’espace et du temps : « l’entretemps pourrait bien être la synthèse entre ces deux forces : le choc entre synchronie et diachronie »[39]. Et s’il parle de choc plutôt que de conjonction c’est bien pour affirmer avec force l’émotion que sous-tend cette appréhension.

« l’entretemps, c’est cet enfant qui feuillette un album de famille »[40], « et d’une certaine manière [nous dit le poète toujours en veine de nous faire comprendre ce qu’il ressent sur un ton didactique] je sécrétais l’ambiguïté de mon propre entretemps »[41]. Il s’agit bien d’ambiguïté puisque nous sommes en présence de deux temps, le passé et le présent, l’un inclus dans l’autre et inversement, sans qu’il y ait prédominance de l’un sur l’autre.

Cette idée, le poète l’a trouvée chez les peuples amérindiens : « l’âme indienne est ainsi faite que sa conception cyclique de l’homme ancré dans l’univers du mythe, avec les avatars des vies successives et ce rapport subtil à la durée -ici l’éternité- appartient à l’entretemps »[42]. On a du mal, dans notre monde occidental, à considérer ce mouvement cyclique. Les choses reviendraient donc. Après tout, nous sommes habitués au retour des saisons. Non que les hommes et les choses ne vieillissent pas, mais l’homme dans son élan cosmogonique demeure avec le monde dont il fait partie. Nous avons des ancêtres, et des enfants naîtront de nous, n’est-ce pas une conception cyclique du temps ?

Plutôt que de se lancer dans des explications par trop métaphysiques, prenons pour exemples quelques anecdotes.

 

 

b) Les moments d’entretemps

 

Attachons-nous à repérer ces manifestations de l’entretemps qui résonnent davantage dans nos esprits.

Ce sentiment apparaît le plus sensible à l’évocation des sites archéologiques, dans « l’entretemps des cités perdues »[43]. « Alors le voyageur […] croit entendre le tumulte des anciens combats »[44]. Notons bien la distance de l’écriture par la troisième personne du singulier  qui permet au poète de ne pas s’investir trop, comme s’il craignait de se trop dévoiler, preuve que l’entreprise est importante. Ce phénomène de l’entretemps peut survenir aussi avec le règne animal : « la créature de l’entretemps qui était à n’en pas douter, ce lièvre »[45], ou végétal avec le baobab[46].

Mais aussi bien sûr avec les hommes. Prenons comme exemple l’histoire de la gare de Calcutta : « S’il est vrai qu’une gare est un endroit où les gens attendent […] aucune autre […] parmi celles que je connais, ne peut lui être comparée. Ils sont là des centaines de milliers peut-être, sous les ventilateurs, assis à même le sol vingt-quatre heures sur vingt-quatre, agglutinés autour de leur maigre bagage, qui attendent des trains dont on se demande s’ils arriveront jamais. Cette foule silencieuse et résignée pour laquelle la notion d’horaire est du domaine du songe, ignore qu’un temps humain existe. […] l’idée d’entretemps s’impose ici comme une évidence, naturelle pour eux, difficile à concevoir pour nous »[47]. Le poète nous met en face d’une notion du temps que nous nous pourrions accepter.

Davantage, l’entretemps aurait des accointances avec l’au-delà : « les anges sont des créatures invisibles de l’entretemps »[48]. Ainsi le sentiment de l’entretemps se révèle d’une grande profondeur autant d’une grande élévation qui serait d’ordre métaphysique au sens premier du terme, c’est-à-dire qui dépasserait le sentiment physique du monde par nos cinq sens. Il renvoie à un sentiment de dilution spatio-temporelle assez extraordinaire et qui a peu d’exemples dans notre littérature. Aussi faut-il renvoyer à notre secours de grandes voix, telle, notamment celle de Julien Gracq qui parlait d’« agrégats de rencontre » ou de « précipités adhésifs »[49].

Alors « l’Homme [serait] délivré du temps »[50], c’est ce qui apparaît ici de plus remarquable ; l’éclosion de ce sentiment donne à l’homme un sentiment très fort de jouissance extra-physique, il a dépassé les limites des dimensions, il est libre, libéré, affranchi des limites terrestres. On a l’impression d’assister à une exaltation spirituelle, peut-être métaphysique, alors que nous sommes pleinement dans un sentiment tellurique et historique.

Aussi bien peut-on y perdre son identité ; le poète voit alors son être de dissocier, se défouler et apercevoir le masque qu’il porte : « ce masque vit comme un ancien visage »[51]. La réalité, l’autre réalité qu’il appréhende, est celle d’un temps ancien dans lequel il se verrait comme il n’a jamais été.

 

 

c) La quête 

 

Le poète est « En route vers de nouveaux territoires où l’entretemps n’existe que si on le nourrit »[52]. L’intensité et la qualité de cette rencontre appellent un désir. C’est pourquoi Jean Orizet n’a de cesse que de vouloir retrouver cet état. Non seulement l’entretemps n’est pas à portée d’œil ni de main, immédiatement, comme le temps lui-même, mais il faut aller le quérir. Que signifie alors nourrir l’entretemps ? Une certaine disposition à être accessible au passé tout en étant présent.

« Dans ma quête de l’entretemps, Venise occupe une place privilégiée à la mesure de son mystère »[53]. La Sérénissime constitue bien sûr pour tout voyageur un passage obligé. Mais chez Orizet, la vue dépasse les clichés : la ville sous les eaux montre ses racines et son infrastructure dans le même espace-temps. Ecoutons l’exaltation du poète quand il a le sentiment d’avoir atteint son but : « j’avais réussi ! la ville commençait à vivre »[54]. Il s’agit bien pour le poète de faire assez de vide dans son esprit pour revivre une histoire oubliée, à peine recueillie dans les livres. Il fallait cet espace pour revoir le temps.

De même, et nous revenons au règne végétal, « les eucalyptus devenaient […] l’image de cette parole de Dieu à l’Évangéliste : ‘Je suis l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin’, version mythique de l’entretemps »[55]. On assiste à une aventure spirituelle du temps qui se transforme en épiphanie, au lieu même où fut écrite l’Apocalyspe ! Est-ce cette inspiration qui donne à nombre de des poèmes de Jean Orizet un ton pessimiste, voire fantastique ? Grâce au sentiment d’entretemps, le poète peut accéder à la mystique. Avez-vous remarqué aussi la proximité phonétique des deux mots « eucalyptus » et « Apocalypse » ? Pas de rapport étymologique a priori, mais de quoi réfléchir sur la sonorité des mots qui entraîne l’esprit et avec laquelle celui-ci joue. Le livre de Jean (et ici peut-être une confusion voulue entre le prénom du poète et celui de l’apôtre) donne la révélation, découvre ce qui est obscur, comme l’arbre se découvre jusqu’après la floraison. Il s’agit donc d’une découverte, ne serait-ce que celle de soi, hors du masque, dans une envolée spirituelle.

En outre, cette quête est rendue nécessaire par la vitesse accrue de monde moderne qui signifie l’absence du passé. En homme de culture et d’humanité, Jean Orizet part donc à la conquête ce de temps oubliable pour nous le faire ressusciter : « Ce temps par nous réanimé […] pour faire barrage à l’oubli »[56]. Alors, mieux qu’une simple réminiscence, l’entretemps devient un imaginaire : « J’invente un entretemps pour mieux saisir le monde »[57]. Les voyages ainsi trouvent toute leur pertinence dans le choix d’une  humanité meilleure à construire. 

En définitive il s’agit d’une entreprise éminemment poétique, puisqu’il s’agit d’« acquérir une maîtrise magique sur le monde » […] il réinventera une cosmogonie, rajeunira le mythe », les deux faces de l’être avec et sans masque « enfin réconcilié[e]s dans un temps qui n’aurait plus d’ombre »[58], « cette radiance magique dont l’entretemps seul est dépositaire »[59]. On sera attentif au mot « magie » deux fois employés. Ce mot nous introduit dans l’univers les mages, des chamanes, des sorciers, c’est-à-dire des hommes qui ont une relation privilégiée avec le surnaturel.

L’idée d’entretemps, si elle n’est pas tout à fait nouvelle au sens philosophique, est remise au goût du jour par un poète. Lui seul est à même de rendre compte de ce sentiment fort dans l’existence. Lui seul est capable de trouver les mots pour l’exprimer.


 

Conclusion

 

 

 

 

 

 

Nous avons vu notre poète voyager, nous avons embarqué avec lui dans toutes les régions du monde. On a senti que pour lui, le voyage prenait surtout le caractère d’une découverte des civilisations soit qu’il rencontrait à la suite de ses humanités, soit qu’il découvrait. Dans un cas comme dans l’autre, Jean Orizet figure comme un de ces grands poètes voyageurs, comme Claudel, Saint-John Perse et Victor Segalen ou plus près de nous Nicolas Bouvier. Leur découverte enrichit non seulement ses lecteurs mai aussi les lieux qu’ils visitent. Ce sont de parfaits humanistes, dans le droit-fil de ceux qui faisaient leurs humanités, on pense à Lord Byron, à Chateaubriand, à Nerval, dans leur recherche mi-touristique mi-existentielle du tombeau du Christ. Leur démarche est d’autant plus importante que de nos jours, le touriste se meut en cohortes de gens pressés, l’œil coincé dans l’objectif de leur caméra.

Nous avons vu comme il se plaisait à mêler les espaces à confondre dans une même idée, un même sentiment, l’orient et l’occident, les règnes végétal et animal ou humain pour rendre compte de l’unité du monde autour du même sentiment du temps. Aussi le comprend-on bien quand l’arbre du voyageur exprime pour lui cette double postulation, tiré vers le bas comme poussé vers le haut. Et s’il privilégie le retour à l’origine d’une genèse à refaire, c’est pour mieux rêver à une dilution dans l’interstellaire.

Avec Orizet, nous apprenons la patience, la lenteur de la croissance végétale, le temps non compté des histoires mythiques et le temps mesuré mais si long qu’on ne compte plus des clepsydres et des gnomons. Associé au chêne ou à l’eucalyptus, à la fougère ou à la bruyère, le temps prend des formes qui nous bouleversent dans nos repères.

Nous ne vivons plus alors dans l’horizontal, mais dans la conjonction de l’espace et du temps ; nous nous enfonçons dans les fouilles archéologiques du Machu Pichu, de Venise ou des Thermopyles pour faire revivre, en nous, les secrets des anciennes civilisations, comme nous vivons une sorte d’exaltation mystique à nous élevons vers le mystère cosmogonique dans une improbable rêverie sidérale.

C’est alors qu’il nous délivre son message de l’entretemps, sentiment fort et secret qui l’emmène vers une extase culturelle autant qu’existentielle, au bord d’une mystique qui n’ose peut-être pas dire son nom. Mais dont il nous donne avec une force didactique à toute épreuve maints exemples, et dont surtout il nous montre la force et sa nécessité dans sa poétique.

 

 

 

 



[1] Gilles Pudlowski, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 717.

[2] Patrice Delbourg, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 719.

[3] Hommes continuels, 1994, p. 18, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 527. On trouve ici un écho bien volontaire à la citation de Victor Segalen, placée en exergue au Voyageur absent : « On fit, comme toujours, un voyage au loin de ce qui n’était qu’un voyage au fond de soi », in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 331.

[4] La Peau du monde, 1987, p. 162 in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 481.

[5] La Peau du monde, 1987, Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 488.

[6]Le Voyageur absent, 1982, p. 89,  in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 377.

[7] Histoire de l’entretemps, 1985, p. 109.

[8] » Le Voyageur absent, 1982, p. 85 in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. ou De sève, de pierre et de vent, 1984, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 456.

[9] Le Voyageur absent, 1982, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 386.

[10] Histoire de l’entretemps, 1985, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 371.

[11] Parfum de la vitesse, 2001, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p.563-569.

[12] La Peau du monde, 1987, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 476.

[13] Dits d’un monde en miettes, 1982, p. 114 , in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 413

[14] De sève, de pierre et de vent, 1984, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 443.

[15] Miroir oblique, 1969, p. 25, Histoire de l’entretemps, 1985, p. 28, La Peau bleue de rêves, 2003, p. 58, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 160.

[16] Le Voyageur absent, 1982, p. 70, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. .

[17] Dits d’un monde en miettes, 1982, p. 116, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 445.

[18] Dits d’un monde en miettes, p. 118 in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p..

[19] Dits d’un monde en miettes, p. 120, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 447.

[20] De sève, de pierre et de vent, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 447.

[21] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 142.

[22] Patrice Delbourg, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 719.

[23] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 55.

[24] », Les Grandes Baleines bleues, 1973, p. 33, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 225.

[25] Dits d’un monde en miettes, 1982, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 438.

[26] Dits d’un monde en miettes, 1982, Hommes continuels, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 430, 544.

[27] Hommes continuels, 1994, p. 34, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 532.

[28] De sève, de pierre et de vent, 1984, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 445

[29] La Peau du monde, p. 170, 1987, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 496.

[30] La Peau du monde, 1987, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 486.

[31] La Peau du monde, 1987, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 494.

[32] Ibid.

[33] De sève, de pierre et de vent, 1984, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 447.

[34] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 121.

[35] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 89.

[36] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 90

[37] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 146

[38] Histoire de l’entretemps, 1985, p. 74, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 461.

[39] Histoire de l’entretemps, 1985, p. 56. 

[40] Histoire de l’entretemps, p. 52

[41] Histoire de l’entretemps, p. 54.

[42] Histoire de l’entretemps, p. 129.

[43] Histoire de l’ntretemps, La Table ronde, 1985, p. 78. 

[44] De sève, de pierre et de vent, 1984, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 455

[45] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 73.

[46] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 18

[47] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 137.

[48] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, pp. 67-69.

[49] Julien Gracq, cité par Jean Orizet, Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 131

[50] Histoire de l’entretemps, 1985, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 462.

[51] Magie des arts premiers, 2008, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 657.

[52] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 194.

[53] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 158

[54] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 40.

[55] Histoire de l’entretemps, 1985, p. 24.

[56] La Peau du monde, 1987, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 477.

[57] Envoi ; in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 659.

[58] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 12.

[59] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 171.