jeudi 27 novembre 2008

Voici l'intégralité de la conférence prononcée pour la présentation de Jean Orizet, ce mercredi 26 novembre au café le François-Coppée, avec Jean -Paul Giraux et Monique Labidoire:



Orizet

Le poète de l’entretemps

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme un grand voyageur qui a vu mille mondes, comme un grand aristocrate qui vous offrirait le loisir de la parole, comme un grand oiseau à longues pattes daignant parfois se nourrir d’une perche, d’autres disent « gentleman farmer »[1] ou « conquistador nonchalant »[2], Jean Orizet est ce poète à la haute figure qui, cependant, ne laisse pas d’être aimable et avenant ; et dont la conversation autant que le vers, est capable d’un enchantement qui rappelle les grandes voix des poètes profondément lyriques.

Sa poésie reflète cette double posture : une grande hauteur de vue pour un sentiment très vif du temps qui passe,  à travers l’amour, la mort et les voyages.

Toute l’œuvre du poète est placée sous le signe du temps, qui, avant que d’être un espace d’avenir, représente surtout la douleur de l’écoulement, de l’écroulement.

Nous verrons comment le poète, pour lutter contre cette dispersion, s’ingénie à confondre les lieux ; il tente de l’apprivoiser par le retour aux sources dans un double mouvement vertical ascendant et descendant symbolisé et incarné par le végétal.

Mais comme un oiseau de haut vol, il parvient à dépasser la simple contingence pour faire du temps un avoir, un bien, un trésor qui permettrait de savourer et l’instant et l’histoire : c’est ce qu’il appelle l’entretemps que nous essaierons de définir en donnant quelques exemples. Nous verrons quelle recherche elle constitue pour lui. Et c’est cette découverte qui pourrait bien lui donner un espoir de vie transcendantale.


I

Les voyages

 

Le temps, c’est d’abord l’espace. Les deux dimensions sont absolument liées l’une à l’autre, et pour Jean Orizet l’espace, ce sont les lieux, innombrables qu’il a visités.Ces lieux lui sont tout un et il aime les confondre car pour lui la terre est un espace à lui tout seul : la terre et sa végétation.

 

a)     L’espace

 

Orizet est un grand voyageur. Il a parcouru les cinq continents. Et il a retiré de cette pérégrination le goût pour l’autre, pour le différent. Il n’est pas certain qu’il y ait trouvé ce qu’il cherchait de prime abord : une lutte contre le temps qui passe. Qui d’abord le peut ?

La plupart du temps, les voyages, comme pour chacun de nous, ne sont que des fuites, au mieux des plaisirs mondains de touristes happés par la modernité. Pour Jean Orizet, le voyage est un peu plus que cela, même, si, comme nous, il revient, il en revient. Mais son retour lui laisse un sentiment ambigu: « Je pars et ne pars pas […] Je noie mon passeport au fond des hémisphères et me rêve absent à peine de retour »[3]. Sous le discret alexandrin, on devine que le vrai voyageur est en effet celui qui est toujours entre les deux, comme l’indique aussi l’antithèse « je pars et ne pars pas », Jean Orizet est « toujours entre deux nids »[4]. Le voyage ne vaut, pour certains, que par rapport au port d’attache, sinon, il n’y a plus de voyage, c’est de l’expatriation. Précisément, la patrie, pour le poète, c’est l’ailleurs, ce sont les « étoiles apatrides »[5].

L’important, dirait-on, pour le voyageur, n’est peut-être pas le voyage lui-même, mais l’homme qui en revient. Orizet revient  pour contempler son arbre : « L’arbre du voyageur »[6]. Cette antithèse rassemble toute la problématique du voyage chez le poète : partir et rester, bouger et demeurer. On voyage pour rester, pour mieux rester, et on reste parce qu’on a bien voyagé. Les deux sont complémentaires. L’idéal serait d’être un arbre bien ancré dans ses racines, en même temps que de pouvoir bouger.

Mais, voilà, la danse de saint Gui nous reprend, et nous repartons : « je devenais cet homme de passage »[7], nous dit le poète, moins du passage sur terre à manger les kilomètres, à visiter tant de cités et de paysages, plutôt qu’un passager du temps, celui qui peut affronter le passé avec le présent, sans nostalgie, sans souvenir. Mais avec une histoire, celle de notre époque, celle de notre histoire commune. Cette notion de passage est constitutive du voyageur qui passe du temps aussi bien que des frontières, mais Orizet en fait plus que cela ; pour le poète le passage n’est pas seulement celui du temps apparent. Le voyage s’effectue dans la verticale.

 

On est alors pris dans une grande confusion, autant que celle des sentiments, chère à Stephen Zweig, que celle des espaces et du temps.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

b) Confusion des espaces et des arts

 

 

Il est ordinaire de spécifier un lieu pour en dire toute son originalité. Au contraire, Jean Orizet, comme si le temps s’annulait devant lui, souvent, nous place devant la similitude entre deux horizons parfaitement éloignés les uns des autres : « Irlande ou Japon ? »[8], par exemple, dans une interrogation frontale qui ne laisse pas d’être évocatrice. Confondre l’Est et l’Ouest, on admettra que ce n’est pas banal. Et le temps n’y est pas étranger, bien sûr, puisque c’est parce qu’il se souvient que le poète peut ainsi comparer.

Ce mélange des lieux pourrait aussi s’entendre comme une négation du voyage ; en effet, si les lieux peuvent être confondus, à quoi sert-il de voyager ? La confusion des lieux a de quoi nous interroger sur « ces ports […] de Gibraltar à Galveston, de Lisbonne à Buenos Aires »[9] et des aéroports : « Paris, New York, Boston, Washington, Indianapolis »[10]. Le poète dresse des parallèles entre les lieux (et il aime ces listes qu’il déploie à loisir, non pas pour afficher, mais pour donner à voir, à entendre, parfois avec des noms savoureux), nous permettent de nous faire réfléchir, plus que sur la diversité, sur la communauté des hommes et de leur paysage.

À partir de cette confusion première des espaces, nous assistons au mélange des arts. Ainsi se permet-il des parallèles, pour nous surprenants, entre les courses automobiles de Formule 1 et l’art pictural, Poussin, Hokusaï, et la  littérature de Chateaubriand[11]. Nous y voyons d’abord un élan de sincérité de la part du poète qui s’insurge contre le cliché de tour d’ivoire du poète romantique, d’une part. D’autre part, pour lui, les sens apportent une multitude de sensations qui se confondent en une alchimie qu’il s’agit précisément d’élucider. Ainsi il lui importe peu de se ranger derrière des stéréotypes, des faux-semblants. Il s’agit d’être vrai, quitte à rendre la confusion des sensations par la confusion des arts.

Le poète parle même d’« avers et revers confondus »[12], et cette confusion chez lui n’est pas négative ; elle interroge et permet une réflexion sur le devenir de l’homme. C’est pourquoi la confusion des choses et des êtres s’étend au monde dans son ensemble et prend une signification particulière avec le règne végétal, symbole du temps qui demeure.

 

 

 

 

 

 

 

 

c)     Le Végétal

 

Le même paradoxe qu’on avait avec « l’arbre du voyageur », « l’avers et le revers », s’applique à tout le règne végétal.

Le végétal offre au poète cet effort de survie, non pas en tant qu’une vie sauve des périls comme de la mort, mais survie au sens premier, comme une vie supplémentaire, à partir du végétal. Ainsi les « Fougères ambiguës »[13] qui poussent à partir de rien et se déploient de façon fantastique : « Par la genèse des crosses mêlant au règne végétal l’animal, les fougères naissantes hésitent entre les règnes »[14]. On appréciera, précisément à cet endroit, la qualité du style de Jean Orizet, toujours empreint d’un souci didactique, et à peine dit, deux figures de rhétorique, discrètes, l’inversion, et l’absence de liaison qui illustre exactement la confusion. Et bien sûr l’alexandrin qui assoit le propos.

Cette confusion des règnes s’exemplifie avec l’image de l’arbre. Le voyageur n’est alors qu’à moitié dépaysé dans ses pérégrinations puisqu’il retrouve peu ou prou son identité à travers le végétal qu’il reconnaît. Tout végétal offre la demeure face aux mouvements du voyageur, c’est en quelque sorte son antidote : « sois humble, mince passant : aie l’exigence  de l’arbre »[15]. Retenons la leçon donnée de biais à la troisième personne qui s’adresse autant au poète lui-même qu’à son lecteur. Exigence d’humilité avec ce « mince » passant que l’image nous donne à voir comme une statue de Giacometti, être quasi évanescent devant la constance du végétal.

Les arbres représentent pour le poète la pérennité, en lui donnant un supplément d’âme. Le poète se veut l’« héritier des arbres »[16]. En une collusion de mots franche, le poète nous assigne une ascendance que nous étions habités à voir du côté animal ; l’image nous force à voir autrement notre genèse.

Les quatre grands arbres séculaires ont naturellement leur place ici : chênes[17], baobab[18], eucalyptus[19], banian[20].  Chacun apporte au poète une lecture du monde qui le place en dehors du temps, par sa longévité, bien sûr, mais aussi par sa capacité à enregistrer le monde dans un mouvement de haut en bas, englobant ainsi l’espace dans sa dimension historique.

On notera que l’eucalyptus est associé à l’île de Patmos, et plus précisément, au tombeau de saint Jean. Sur un fond de mysticisme, le poète fait référence à l’écriture, puisque c’est à ce moment que le saint écrivit l’Apocalypse. Le livre de la fin du monde. Le livre des révélations. L’arbre annoncerait en quelque sorte une révélation de l’au-delà. Au-delà du temps, comme au-delà de l’espace.

On le voit, donc, pour le poète, l’espace, dans toutes ses dimensions, est un effet du temps. C’est pourquoi il importe maintenant d’examiner la sensibilité du poète au passage du temps.

II

 

 

 

Le passage du temps

 

 

 

 

 

Tout l’effort de Jean Orizet consiste à vouloir maîtriser le temps, voire à l’annuler. Tâche impossible, on le sait. Mais, ce qui lui importe, c’est la manière dont chacun s’y prend. Jean Orizet aime la mesure de tout ce qui vise à remonter le cours du temps. Du reste, il est attiré par cette verticale qui va de bas en haut puis de haut en bas, afin sur un même lieu, de creuser l’espace et/ou de le transcender.

 

 

 

 

 

 

 

 

a)     Le passage

 

On l’a vu, le poète est un familier des voyages transcontinentaux. Des journées entières passées dans l’avion ne l’effraient pas. Non plus que le changement des fuseaux horaires. Il apprécie, « Après quatorze heures de vol, [de]changer de saison en changeant d’hémisphère »[21]. Il faut aimer voir d’autres mondes d’autres habitudes, d’autres cultures, se sentir étranger soi-même, se frotter soit à l’indifférence de ses contemporains, soit à leur agressivité, leur étrangeté, soit encore à leur amitié. Voir d’autres végétaux, d’autres automobiles, d’autres architectures, etc. Tout change quand on voyage si on a les yeux pour regarder, c’est pourquoi Patrice Delbourg appelle notre ami un « glouton optique »[22]. Tout change, et c’est précisément ce que recherche le poète quand il voyage. Ce qui l’intéresse, c’est le passage.

Mais c’est aussi le passage du temps qui l’angoisse: il a toujours une « fascination pour ses instruments de mesure : gnomons, sabliers, clepsydres, horloges à poids, montres à ressort et bientôt à quartz »[23] et nous retrouvons son goût des listes et des termes inhabituels, cette jouissance de la langue. L’euphorie lexicale concrétise le passage du temps, que nous ne voyons que dans le ciel ou les saisons. La mesure donne un aspect, quantifiable, mesurable, mais aussi venue de notre main, pour donner un peu le réconfort d’une appréhension. Voilà pourquoi Orizet aime les horloges. Comme tout voyageur véritable, la mesure du temps, non seulement le rassure, mais le fortifie dans son désir de voyage.

Le temps, c’est aussi, l’âge. Cette poursuite des atteintes du temps est sensible dans nombre des œuvres de poètes. Ainsi on peut entendre ce cri un peu inattendu à travers l’apparence sereine du voyageur au long cours :  « Hurlante sous tes pas/ la souillure inexpliquée du jour » [24]. Le jour est blanc, immaculé, et le temps sa tache. Cette métaphore nous en dit long sur le processus qui amène le poète à voyager : le temps lui est une tache (que l’on retrouvera sur les taches de vieillesse qu’il peut lire sur sa main). Dans la même idée de couleurs négatives, il s’insurge aussi contre les exactions des hommes qui souillent les yeux du voyageur et les paysages : « Prenez un grand pétrolier de 100 ou 200 000 tonnes./ Coupez-le en deux, un jour de tempête, au large d’une côte habitée, et vous obtiendrez deux petits pétroliers bien assurés au Lloyd’s de Londres et beaucoup d’oiseaux noirs assurés, eux, d’être asphyxiés demain »[25]. Sous le couvert d’une recette de cuisine assez drôle, on pense à Jean l’Anselme, le poète, très acerbe, joue sur les mots et marque notre esprit de cette marée noire, noire comme les atteintes du temps.

 

Mais ses pérégrinations lui apportent une autre sorte de cri, celui des populations souffrantes. Car si le voyage est fait pour connaître les paysages, le poète n’en n’oublie pas pour autant ses hommes: « il est des pays terribles/ où la plupart des habitants/ ont à la place du visage// une cible »[26]. Dans une formulation concise et terriblement évocatrice, le poète se révolte contre les guerres de quelque pays qu’elles soient. La problématique du temps se révèle alors plus criante de désespoir et de révolte.

C’est pourquoi, un baume serait d’annuler le temps.

 

 

b)    Remonter le temps

 

Une rivière, on peut en remonter le cours, et il nous semble qu’alors on parvient à sa source, que l’on confond bien volontiers avec l’origine du monde. L’homme souhaiterait aller au plus loin dans l’origine: « Le temps coule inusable sur un océan d’énergie. L’univers qui est Dieu hésite encore à naître. De l’ancienne harmonie va grandir un chaos. Le monde est ma pensée puis mon rêve. »[27] Il faut entendre que, pour Jean Orizet, le monde court, non peut-être à sa perte, mais vers le chaos, et non vers la construction. À rebours, en quelque sorte. C’est une sorte de devenir eschatologique, apocalyptique, que ce temps que le poète voit à l’avance sur un ton aux allures épiques. La recherche de l’origine, chez Orizet, prend appui sur l’arbre.

Dans le règne végétal, il ne peut s’empêcher de voir comme une propension, d’être l’origine, de remonter les âges : « cet arbre a le pouvoir d’inverser le cours du temps, repoussant celui-ci vers sa source »[28]. L’image prend à contre pied la vision traditionnelle de l’arbre comme symbole humain qui, attaché à la terre, tendrait vers le ciel, ses bras étant ses branches. Le poète s’imagine glisser «doucement vers l’éveil de [s]a race, redevenais poisson, paramécie, plancton. »[29] Cette vision biologique très large et à l’envers a de quoi interroger. Elle situe l’homme face à sa naissance dans le monde sidéral, parmi ses habitants de tous ordres (végétal, minéral, animal). C’est une conscience écologique avant l’heure et surtout une question existentialiste de première importance.  Nous sommes en effet dans le domaine des choses possibles mais non certaines, et même les songes n’ont pas ce pouvoir de réalité : « nous tentons de rêver des genèses plausibles»[30].  Encore une fois l’alexandrin résonne pour appeler notre oreille à cette idée d’origine.

Le poète essaie de courir vers sa genèse. Orizet n’est pas l’homme pressé de Paul Morand, ni même « l’homme aux semelles de vent qui plongea le jaune du mystère dans le cœur d’un volcan choisi comme tombeau »[31]. Pour lui, Rimbaud, comme Van Gogh, « ont ouvert une fenêtre aux vertiges de l’éblouissement »[32]. Les métaphores ici étonnent par leur richesse quand on compare le style du poète par ailleurs si clair. C’est qu’en lui se confondent les temps, les espaces, les formes et les couleurs autant que les procédés d’écriture qui se révèlent d’une grande richesse dans leur multiplicité. Le voyage, c’est le temps : le poète en cherche l’origine, alors que nombre de voyageurs voyagent pour précisément perdre le temps, le remplir, c’est-à-dire l’épuiser. Chez Orizet, au contraire, le temps ne s’épuise pas, il s’élargit, il se creuse, il s’amplifie par la grâce d’un verbe aux multiples facettes.

 

 

c)     vertical et horizontal

 

Remonter le cours du temps, dans le même élan que vers la source, revivre les faits historiques, tel est le but principal du poète. L’histoire donne en effet épaisseur et consistance à l’espace et aux lieux. Il n’y a pas de lieu sans histoire, et l’histoire a toujours un lieu (l’expression « avoir lieu » donne l’exacte résonance de la conjonction du temps et de l’espace).

Ainsi, de façon verticale, on peut remonter le temps, cette fois dans l’acception quasiment première du mot, vers le haut. On part de l’origine de l’espace, et on grimpe, à la verticale du lieu vers le temps présent. Mais auparavant il a fallu prendre cette verticale dans l’autre sens, celle de la descente. Remonter le temps, c’est, d’abord, descendre dans la terre, dans les fouilles archéologiques. Ainsi se dessine un mouvement propre à figurer le temps à partir d’un espace : « cycle végétatif qui s’exerce de bas en haut comme de haut en bas »[33], comme le fait le mouvement de la sève qui monte puis descend pour l’hiver. On est loin de la représentation linéaire du temps.

Cette évocation s’articule selon deux axes: « je veux placer mes explorations dans l’horizontale […] –qui est en la partie la plus accessible-»[34]. À un autre moment, il opérera le mouvement inverse : « plonger dans la verticale souterraine »[35], puisque que c’est sous la terre que résident les restes des cités enfouies.

Aussi faut-il aller au-delà de notre terre pour aller quérir cette émotion : « chaque atome de temps, d’espace et de matière implosait »[36], « ses temps qui prolifèrent et qui bifurquent »[37]. La confusion est à tous les niveaux, et cette confusion même est l’entretemps, la dilution de l’être dans un certain néant de temps et d’espace.

A partir de l’idée d’origine et de la verticale, qu’il s’agit d’explorer, Jean Orizet en arrive à la notion d’entretemps : « celui de la légende et du mythe »[38]. C’est-à-dire que dans un espace donné où se superposent l’histoire des hommes et celle de leurs idées, de leurs fantasmes, de leurs récits épiques, de leurs genèses, de leurs mythes. Ainsi, quand l’homme voyage, c’est à travers le temps qu’il se promène, peut-être davantage qu’à travers l’espace.


 

III

L’entretemps

 

Découverte il y aura bientôt trente ans, cette notion n’est pas simple à expliquer. Nous nous y attacherons, bien sûr, mais surtout nous en donnerons quelques exemples, et, nous verrons comment ce sentiment imaginé dans un premier temps, est devenu pour Jean orizet l’objet d’une recherche infinie.

 

 

A)   Définitions 

 

Jean Orizet refuse la conception d’un temps linéaire qui veut qu’on trace une droite infinie de la gauche vers la droite qui représenterait notre passé courant vers l’avenir, ce qui sous-entend le non-retour d’une même chose en un lieu identique. L’image de l’eau, la plus courue, illustre cette conception. Comment peut-on mettre en doute cette idée ? Nous voyons que chaque jour qui passe ne reviendra jamais ?

Cependant on y voit un écueil : la présence de l’espace, constitutive au temps. On peut rendre compte de cette problématique avec la même image de l’eau courante. En effet, si l’eau coule sans arrêt, elle a pourtant un lit pérenne et aussi un nom que les hommes lui donnent et retiennent. Ainsi la rivière cumule en elle la conjonction de l’espace et du temps : « l’entretemps pourrait bien être la synthèse entre ces deux forces : le choc entre synchronie et diachronie »[39]. Et s’il parle de choc plutôt que de conjonction c’est bien pour affirmer avec force l’émotion que sous-tend cette appréhension.

« l’entretemps, c’est cet enfant qui feuillette un album de famille »[40], « et d’une certaine manière [nous dit le poète toujours en veine de nous faire comprendre ce qu’il ressent sur un ton didactique] je sécrétais l’ambiguïté de mon propre entretemps »[41]. Il s’agit bien d’ambiguïté puisque nous sommes en présence de deux temps, le passé et le présent, l’un inclus dans l’autre et inversement, sans qu’il y ait prédominance de l’un sur l’autre.

Cette idée, le poète l’a trouvée chez les peuples amérindiens : « l’âme indienne est ainsi faite que sa conception cyclique de l’homme ancré dans l’univers du mythe, avec les avatars des vies successives et ce rapport subtil à la durée -ici l’éternité- appartient à l’entretemps »[42]. On a du mal, dans notre monde occidental, à considérer ce mouvement cyclique. Les choses reviendraient donc. Après tout, nous sommes habitués au retour des saisons. Non que les hommes et les choses ne vieillissent pas, mais l’homme dans son élan cosmogonique demeure avec le monde dont il fait partie. Nous avons des ancêtres, et des enfants naîtront de nous, n’est-ce pas une conception cyclique du temps ?

Plutôt que de se lancer dans des explications par trop métaphysiques, prenons pour exemples quelques anecdotes.

 

 

b) Les moments d’entretemps

 

Attachons-nous à repérer ces manifestations de l’entretemps qui résonnent davantage dans nos esprits.

Ce sentiment apparaît le plus sensible à l’évocation des sites archéologiques, dans « l’entretemps des cités perdues »[43]. « Alors le voyageur […] croit entendre le tumulte des anciens combats »[44]. Notons bien la distance de l’écriture par la troisième personne du singulier  qui permet au poète de ne pas s’investir trop, comme s’il craignait de se trop dévoiler, preuve que l’entreprise est importante. Ce phénomène de l’entretemps peut survenir aussi avec le règne animal : « la créature de l’entretemps qui était à n’en pas douter, ce lièvre »[45], ou végétal avec le baobab[46].

Mais aussi bien sûr avec les hommes. Prenons comme exemple l’histoire de la gare de Calcutta : « S’il est vrai qu’une gare est un endroit où les gens attendent […] aucune autre […] parmi celles que je connais, ne peut lui être comparée. Ils sont là des centaines de milliers peut-être, sous les ventilateurs, assis à même le sol vingt-quatre heures sur vingt-quatre, agglutinés autour de leur maigre bagage, qui attendent des trains dont on se demande s’ils arriveront jamais. Cette foule silencieuse et résignée pour laquelle la notion d’horaire est du domaine du songe, ignore qu’un temps humain existe. […] l’idée d’entretemps s’impose ici comme une évidence, naturelle pour eux, difficile à concevoir pour nous »[47]. Le poète nous met en face d’une notion du temps que nous nous pourrions accepter.

Davantage, l’entretemps aurait des accointances avec l’au-delà : « les anges sont des créatures invisibles de l’entretemps »[48]. Ainsi le sentiment de l’entretemps se révèle d’une grande profondeur autant d’une grande élévation qui serait d’ordre métaphysique au sens premier du terme, c’est-à-dire qui dépasserait le sentiment physique du monde par nos cinq sens. Il renvoie à un sentiment de dilution spatio-temporelle assez extraordinaire et qui a peu d’exemples dans notre littérature. Aussi faut-il renvoyer à notre secours de grandes voix, telle, notamment celle de Julien Gracq qui parlait d’« agrégats de rencontre » ou de « précipités adhésifs »[49].

Alors « l’Homme [serait] délivré du temps »[50], c’est ce qui apparaît ici de plus remarquable ; l’éclosion de ce sentiment donne à l’homme un sentiment très fort de jouissance extra-physique, il a dépassé les limites des dimensions, il est libre, libéré, affranchi des limites terrestres. On a l’impression d’assister à une exaltation spirituelle, peut-être métaphysique, alors que nous sommes pleinement dans un sentiment tellurique et historique.

Aussi bien peut-on y perdre son identité ; le poète voit alors son être de dissocier, se défouler et apercevoir le masque qu’il porte : « ce masque vit comme un ancien visage »[51]. La réalité, l’autre réalité qu’il appréhende, est celle d’un temps ancien dans lequel il se verrait comme il n’a jamais été.

 

 

c) La quête 

 

Le poète est « En route vers de nouveaux territoires où l’entretemps n’existe que si on le nourrit »[52]. L’intensité et la qualité de cette rencontre appellent un désir. C’est pourquoi Jean Orizet n’a de cesse que de vouloir retrouver cet état. Non seulement l’entretemps n’est pas à portée d’œil ni de main, immédiatement, comme le temps lui-même, mais il faut aller le quérir. Que signifie alors nourrir l’entretemps ? Une certaine disposition à être accessible au passé tout en étant présent.

« Dans ma quête de l’entretemps, Venise occupe une place privilégiée à la mesure de son mystère »[53]. La Sérénissime constitue bien sûr pour tout voyageur un passage obligé. Mais chez Orizet, la vue dépasse les clichés : la ville sous les eaux montre ses racines et son infrastructure dans le même espace-temps. Ecoutons l’exaltation du poète quand il a le sentiment d’avoir atteint son but : « j’avais réussi ! la ville commençait à vivre »[54]. Il s’agit bien pour le poète de faire assez de vide dans son esprit pour revivre une histoire oubliée, à peine recueillie dans les livres. Il fallait cet espace pour revoir le temps.

De même, et nous revenons au règne végétal, « les eucalyptus devenaient […] l’image de cette parole de Dieu à l’Évangéliste : ‘Je suis l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin’, version mythique de l’entretemps »[55]. On assiste à une aventure spirituelle du temps qui se transforme en épiphanie, au lieu même où fut écrite l’Apocalyspe ! Est-ce cette inspiration qui donne à nombre de des poèmes de Jean Orizet un ton pessimiste, voire fantastique ? Grâce au sentiment d’entretemps, le poète peut accéder à la mystique. Avez-vous remarqué aussi la proximité phonétique des deux mots « eucalyptus » et « Apocalypse » ? Pas de rapport étymologique a priori, mais de quoi réfléchir sur la sonorité des mots qui entraîne l’esprit et avec laquelle celui-ci joue. Le livre de Jean (et ici peut-être une confusion voulue entre le prénom du poète et celui de l’apôtre) donne la révélation, découvre ce qui est obscur, comme l’arbre se découvre jusqu’après la floraison. Il s’agit donc d’une découverte, ne serait-ce que celle de soi, hors du masque, dans une envolée spirituelle.

En outre, cette quête est rendue nécessaire par la vitesse accrue de monde moderne qui signifie l’absence du passé. En homme de culture et d’humanité, Jean Orizet part donc à la conquête ce de temps oubliable pour nous le faire ressusciter : « Ce temps par nous réanimé […] pour faire barrage à l’oubli »[56]. Alors, mieux qu’une simple réminiscence, l’entretemps devient un imaginaire : « J’invente un entretemps pour mieux saisir le monde »[57]. Les voyages ainsi trouvent toute leur pertinence dans le choix d’une  humanité meilleure à construire. 

En définitive il s’agit d’une entreprise éminemment poétique, puisqu’il s’agit d’« acquérir une maîtrise magique sur le monde » […] il réinventera une cosmogonie, rajeunira le mythe », les deux faces de l’être avec et sans masque « enfin réconcilié[e]s dans un temps qui n’aurait plus d’ombre »[58], « cette radiance magique dont l’entretemps seul est dépositaire »[59]. On sera attentif au mot « magie » deux fois employés. Ce mot nous introduit dans l’univers les mages, des chamanes, des sorciers, c’est-à-dire des hommes qui ont une relation privilégiée avec le surnaturel.

L’idée d’entretemps, si elle n’est pas tout à fait nouvelle au sens philosophique, est remise au goût du jour par un poète. Lui seul est à même de rendre compte de ce sentiment fort dans l’existence. Lui seul est capable de trouver les mots pour l’exprimer.


 

Conclusion

 

 

 

 

 

 

Nous avons vu notre poète voyager, nous avons embarqué avec lui dans toutes les régions du monde. On a senti que pour lui, le voyage prenait surtout le caractère d’une découverte des civilisations soit qu’il rencontrait à la suite de ses humanités, soit qu’il découvrait. Dans un cas comme dans l’autre, Jean Orizet figure comme un de ces grands poètes voyageurs, comme Claudel, Saint-John Perse et Victor Segalen ou plus près de nous Nicolas Bouvier. Leur découverte enrichit non seulement ses lecteurs mai aussi les lieux qu’ils visitent. Ce sont de parfaits humanistes, dans le droit-fil de ceux qui faisaient leurs humanités, on pense à Lord Byron, à Chateaubriand, à Nerval, dans leur recherche mi-touristique mi-existentielle du tombeau du Christ. Leur démarche est d’autant plus importante que de nos jours, le touriste se meut en cohortes de gens pressés, l’œil coincé dans l’objectif de leur caméra.

Nous avons vu comme il se plaisait à mêler les espaces à confondre dans une même idée, un même sentiment, l’orient et l’occident, les règnes végétal et animal ou humain pour rendre compte de l’unité du monde autour du même sentiment du temps. Aussi le comprend-on bien quand l’arbre du voyageur exprime pour lui cette double postulation, tiré vers le bas comme poussé vers le haut. Et s’il privilégie le retour à l’origine d’une genèse à refaire, c’est pour mieux rêver à une dilution dans l’interstellaire.

Avec Orizet, nous apprenons la patience, la lenteur de la croissance végétale, le temps non compté des histoires mythiques et le temps mesuré mais si long qu’on ne compte plus des clepsydres et des gnomons. Associé au chêne ou à l’eucalyptus, à la fougère ou à la bruyère, le temps prend des formes qui nous bouleversent dans nos repères.

Nous ne vivons plus alors dans l’horizontal, mais dans la conjonction de l’espace et du temps ; nous nous enfonçons dans les fouilles archéologiques du Machu Pichu, de Venise ou des Thermopyles pour faire revivre, en nous, les secrets des anciennes civilisations, comme nous vivons une sorte d’exaltation mystique à nous élevons vers le mystère cosmogonique dans une improbable rêverie sidérale.

C’est alors qu’il nous délivre son message de l’entretemps, sentiment fort et secret qui l’emmène vers une extase culturelle autant qu’existentielle, au bord d’une mystique qui n’ose peut-être pas dire son nom. Mais dont il nous donne avec une force didactique à toute épreuve maints exemples, et dont surtout il nous montre la force et sa nécessité dans sa poétique.

 

 

 

 



[1] Gilles Pudlowski, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 717.

[2] Patrice Delbourg, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 719.

[3] Hommes continuels, 1994, p. 18, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 527. On trouve ici un écho bien volontaire à la citation de Victor Segalen, placée en exergue au Voyageur absent : « On fit, comme toujours, un voyage au loin de ce qui n’était qu’un voyage au fond de soi », in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 331.

[4] La Peau du monde, 1987, p. 162 in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 481.

[5] La Peau du monde, 1987, Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 488.

[6]Le Voyageur absent, 1982, p. 89,  in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 377.

[7] Histoire de l’entretemps, 1985, p. 109.

[8] » Le Voyageur absent, 1982, p. 85 in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. ou De sève, de pierre et de vent, 1984, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 456.

[9] Le Voyageur absent, 1982, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 386.

[10] Histoire de l’entretemps, 1985, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 371.

[11] Parfum de la vitesse, 2001, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p.563-569.

[12] La Peau du monde, 1987, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 476.

[13] Dits d’un monde en miettes, 1982, p. 114 , in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 413

[14] De sève, de pierre et de vent, 1984, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 443.

[15] Miroir oblique, 1969, p. 25, Histoire de l’entretemps, 1985, p. 28, La Peau bleue de rêves, 2003, p. 58, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 160.

[16] Le Voyageur absent, 1982, p. 70, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. .

[17] Dits d’un monde en miettes, 1982, p. 116, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 445.

[18] Dits d’un monde en miettes, p. 118 in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p..

[19] Dits d’un monde en miettes, p. 120, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 447.

[20] De sève, de pierre et de vent, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 447.

[21] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 142.

[22] Patrice Delbourg, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 719.

[23] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 55.

[24] », Les Grandes Baleines bleues, 1973, p. 33, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 225.

[25] Dits d’un monde en miettes, 1982, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 438.

[26] Dits d’un monde en miettes, 1982, Hommes continuels, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 430, 544.

[27] Hommes continuels, 1994, p. 34, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 532.

[28] De sève, de pierre et de vent, 1984, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 445

[29] La Peau du monde, p. 170, 1987, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 496.

[30] La Peau du monde, 1987, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 486.

[31] La Peau du monde, 1987, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 494.

[32] Ibid.

[33] De sève, de pierre et de vent, 1984, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 447.

[34] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 121.

[35] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 89.

[36] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 90

[37] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 146

[38] Histoire de l’entretemps, 1985, p. 74, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 461.

[39] Histoire de l’entretemps, 1985, p. 56. 

[40] Histoire de l’entretemps, p. 52

[41] Histoire de l’entretemps, p. 54.

[42] Histoire de l’entretemps, p. 129.

[43] Histoire de l’ntretemps, La Table ronde, 1985, p. 78. 

[44] De sève, de pierre et de vent, 1984, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 455

[45] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 73.

[46] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 18

[47] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 137.

[48] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, pp. 67-69.

[49] Julien Gracq, cité par Jean Orizet, Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 131

[50] Histoire de l’entretemps, 1985, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 462.

[51] Magie des arts premiers, 2008, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 657.

[52] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 194.

[53] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 158

[54] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 40.

[55] Histoire de l’entretemps, 1985, p. 24.

[56] La Peau du monde, 1987, in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 477.

[57] Envoi ; in Le Regard et l’énigme, Mélis, Le Cherche midi, 2008, p. 659.

[58] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 12.

[59] Histoire de l’entretemps, La Table ronde, 1985, p. 171.


mardi 25 novembre 2008

Marches II est disponible sur le site de Manuscrit.com

Voici un poème:

Bories

I

 

 

À Pierre Oster

 

 

 

Voici le peuple de pierres

Qui, à l’aube, se masse peu à peu pour former une foule,

Immobile, immobile et dressée. Chacune s’accroît de son ombre

Qui avec la lumière s’éloigne du ciel bas.

Les champs de pierres dévalent la fausse pente

Du grain de leur granite ou de leur grès, sur le sommet de leur pointe, vers l’afflux de leur marée ;

 

Maintenant vaste et solide, immobile, seulement variable à la lumière,

Le peuple de pierres dresse la table même d’une Cène inconnue.

Les lignes d’écriture, comme une pluie calligraphiée, rongent la terre,

Rangent le monde dans un livre à écrire d’une genèse oubliée,

Tisse pour moi un manteau de laine râpeuse autant qu’épaisse et lourde

Que le berger du causse profile à mon épaule.

Ainsi vêtu, je marche dans le vent et cherche le rivage derrière le village :

L’horizon est au bout des sabots.